lundi 10 décembre 2012

FUCKING compagnie !

     J'étais au ticketing quand un businessman espagnol débarque pour prendre sa carte d'embarquement pour Barcelone. Question habituelle : 
" Do you have luggage with you sir?      *1
- No, only one handbag... 
- May I see it sir? 
- Yes it's only a trolley... 
- Ouh, it's a big one...Can you put it in the size wize please? 
- No I don't want to check it! I have a very short connection... "
Là, ça commençait déjà à me pomper...Depuis quand est-ce que les pax m'apprenaient mon taf?!? Je lui sors le bla bla habituel : votre trolley est trop grand et trop lourd, ça ne passe pas en bagage à main!! Il insiste en commençant à s'énerver. Donc je passe en mode pitbull ! 
" Sir, or you go to the check in, or you stay in Brussel with your bag near you!" Et là, le mec pète un plomb! 
" This is a FUCKING company and I don't want to go to your fucking check in!! "
Ça part encore plus en vrille quand je lui demande de se mettre de côté pour que je puisse m'occuper des autres pax... Il était à la limite de l'AVC
" YOU are a FUCKING bitch and I will never fly again with this FUCKING company!!! 
- Sir, go to the c/i ! It 's my last word!!! "
Ça faisait plus de 20 minutes qu'il me gavait avec ses FUCKING... Il se décide finalement à aller enregistrer sa valise en marmonnant quelques FUCKING de plus... Bien sûr, dès qu'il est hors de vue, je plonge sur le tel. Avant qu'il ne soit au desk, je tiens à prévenir ma collègue...pour être certaine que, dans un moment de bonté, elle ne laisse pas passer son bagage à main sans l'enregistrer!!!! Et re-scandale! Il l'a tellement énervée qu'elle lui a dit de refaire la file au ticketing pour prendre sa boarding pass ... Ce qui entre nous n'était pas du tout nécessaire! Soit. Je finis avec un pax quand il est de nouveau devant moi !! Il est rouge et sue comme un porc, prêt à exploser comme une bombe ! Avec un calme olympien, je lui sors son ticket : 
"So sir, this is your FUCKING boarding pass, this is  the FUCKING boarding time and finally your FUCKING boarding gate...and have à FUCKING nice flight!!! "  *2
Il reste muet pendant 10 secondes, le temps d'avaler la pilule. Puis, il commence à hurler qu'il veut parler à mon supérieur, que mon comportement est inadmissible et blablabla ... Pas de chance pour lui : ma chef, qui est au desk à côté du mien pour remplacer ma collègue en pause, a assisté à toute la scène ! Elle lui dit qu'il a de la chance de partir parce que s'il avait été chez elle, il serait sur liste noire! Que j'ai été très patiente et que j'ai fait mon travail correctement !
Hihihi! Elle pousse même le vice à lui donner un complain form...en lui promettant d'écrire un rapport bien croustillant sur son comportement de fou furieux...

Histoire racontée par une lectrice

Traduction:
*1 " Avez-vous un bagage, monsieur?
- Non, juste un bagage à main.
- Puis-je le voir s'il vous plaît?
- Oui, c'est juste un trolley.
- Mmh, il est large. Pouvez-vous le mettre dans le size-wise?
- Non je ne veux pas le vérifier. J'ai une escale très brève! "

*2 "Donc monsieur, voici votre PUTAIN de carte d'embarquement, c'est votre PUTAIN d'heure d'embarquement et enfin votre PUTAIN de porte d'embarquement... et passez un PUTAIN de bon vol!!!"

dimanche 9 décembre 2012

Agression passagère


     Malgré un service parfait, délivré dans les temps, avec un enthousiasme agrémenté d'un sourire Ultrabrite, des passagers mécontents, il y en a toujours à bord. Chaque vol a son lot de chicaneurs qui guettent l'occasion de trouver la faille pour dénigrer et se plaindre. Ce genre de spécimens, on les repère dès le premier pas dans l'avion. Sourire à l'envers, regard fuyant, teint couleur de mégot, muets à nos bonjours, ils sont remontés à bloc pour nous pourrir le vol avec leurs exigences de chien de race.
     C’est comme cette dame aux allures de gestapo, coiffée comme un caniche croisé avec un lévrier afghan. Dès l'embarquement, elle s'est mise à m’aboyer dessus, exigeant une place à côté de son mari. Mais elle était déjà assise près de lui, séparée uniquement par le couloir. Difficile de faire mieux si le vol était bien rempli. Je lui ai expliqué calmement, avec mon sourire le plus arrangeant, qu'une fois que tout le monde serait à bord, j'allais voir ce que je pouvais faire. Par chance pour elle, la place contigüe à celle de son maître était libre. Je croyais qu'elle allait faire des petits bonds de joie, comme Poupette à qui on vient de donner son Caesar, mais c'est avec un air de chien battu qu'elle m'a grogné un merci en s'asseyant. Elle devait sans doute être gênée d'avoir aboyé inutilement. Que voulez-vous, chers passagers, nous sommes toujours prêts à tenter l'impossible pour vous satisfaire mais quand le vol est plein, il n'y a rien à faire!  Sauf peut-être, avoir réservé via internet ses places au préalable et donc éviter toutes ces pirouettes inutiles. Il faut savoir que les compagnies donnent la possibilité de le faire pour un petit supplément sur votre carte de crédit.
Et ce blaireau qui avait booké un service VIP. Il avait plongé la truffe dans son champagne et l'avait siroté goulûment, comme s'il avait peur qu'on le lui boive. Puis, il avait appelé ma collègue et, du bout des lèvres, lui avait réclamé un second verre comme un dû. Elle n'a vraiment mais alors vraiment pas apprécié du tout ce ton arrogant et lui a donc expliqué avec beaucoup de patience qu'il n'avait droit qu'à un seul verre de champagne, comme tous les VIP d'ailleurs. Il avait alors montré les dents en hurlant que le client était roi et qu'il allait écrire une plainte. Le roi... des blaireaux, effectivement, espèce d'alcoolo! Tout ce cinéma hargneux pour un verre de champagne!  Mais ça devait être sa première sortie hors de son terrier car plus tard, pendant le vol, il s'en est encore pris à nous. Il a déboulé dans le galley et a lancé à la chef : 
« Pufff! On n’ose rien vous demander, à vous !
- Pardon?
- Oui, quelle histoire vous m’avez fait pour un deuxième verre de champagne. Je n’ose même pas vous demander un verre de vin! La prochaine fois, je réserverai en classe économique et payerai mon alcool. "
Il avait un fameux toupet, celui-là : on venait justement de lui faire la faveur d'upgrader son ami, avant le décollage. La chef ne s'est pas laisser démonter, elle en avait dressé bien d'autres! Elle lui a répondu calmement :
« Mais, monsieur, calmez-vous! Pas besoin de tourner autour du pot. Dites-moi juste que vous voulez du vin et je vous en apporte un verre. » Mais oui, espèce de roquet baveux, tu l'auras ton susucre mais pour ça il va falloir donner la patte!
Et, sans l'écouter, il a recommencé à la rabrouer comme un molosse enragé, la menaçant toujours d’écrire au service clientèle. Stoïque, la chef l'avait renvoyée gentiment à sa niche en lui donnant l'impression qu'il avait pris le dessus. C'est une méthode qui marche avec les passagers enragés, leur laisser l'impression qu'ils ont eu le dernier mot avec leurs petites phrases mordantes.
     Mais n’allez pas croire qu’on cherche des poux aux passagers. Nous faisons de notre mieux pour leur assurer le meilleur des services mais que voulez-vous, nous n'en sommes pas pour autant des chiens! Et même si c'était le cas, les chiens aiment aussi les caresses! Un merci, un bonjour, un sourire, une petite lèche,...quelle friandise cela peut être lorsque vous avez mal aux pieds à rester debout pendant des heures!
     Un autre, juste au moment du service, se plaignait à gorge déployée des repas chaud servis à bord :
« Mais c’est dégueulasse, votre bouffe ! Même mon chien n’en voudrait pas ! " Ton clebar a sans doute plus de jugeote que toi, il aurait emporté un os à ronger, lui!
« Monsieur, si vous voulez manger du menu de chef étoilé, il faut aller au restaurant, pas dans un avion ! », lui a aussitôt lancé mon collègue qui lui avait servi le plat. 
Ceci dit, il faut avouer que les repas servis à bord ne sont pas toujours du meilleur goût : sur certaines destinations, lorsqu'on sortait les plats du four, une odeur de Royal Canin s'échappait parfois jusqu'au fond de la cabine...
Lorsqu'il y a le choix entre viande et poisson, les dernières rangées sont obligée de se contenter de ce qui reste... ce qui provoque fréquemment des tollés, certains s'inventant des allergies encore non répertoriées dans le dictionnaire des maladies.  
Ainsi, très chers passagers, pas la peine de nous gronder comme des chiots : nous n’avons pas de stock de repas spéciaux, déclinés à l'infini, dans nos trolley. Nous ne bénéficions pas d'une cuisine équipée dans le galley pour vous concocter le moindre de vos caprices. Si vous avez des convictions religieuses ou des raisons médicales réelles d'éviter certains mets, sachez que lors de la réservation, vous avez toujours la possibilité de commander un repas particulier. Certaines compagnies l’offrent même gratuitement.
     Et cette louve hollandaise avec ses trois rejetons... Entre deux appels de passagers, elle m’a arrêté d'un geste martial et m'a dit :
« Vous pourriez donner quand même plus d'attention aux passagers qui ont des enfants! 
- Désolé, madame, je ne suis pas une baby-sitter , je n'ai aucun truc de Supernany à vous donner si vous ne savez pas gérer vos enfants. Et puis, vous n’êtes pas toute seule à bord, il y a une centaine de passagers qui réclament de l'attention ! »
Non mais...elle a pris la cabine pour un nurserie? Voyage en jet privé , si tu as les moyens de transformer les hôtesses en gouvernantes anglaises! Madame espérait que je divertirais ses Gremlins pendant qu'elle lirait son magazine people...
     Je passerai sur tous ceux qui nous demandent d'arbitrer leurs différends de siège incliné leur écrasant les genoux. Un autre pax, niché dans son siège, les jambes ballantes dépassant largement vers le couloir, soupirait théâtralement à chaque passage du trolley. Finalement, après un énième soupir, il m'a lancé un :
« Pfffffffffff  Y'a pas d’espace dans vos avions; c’est vraiment de la merde!
- De nos jours, monsieur, les compagnies configurent leur avions avec un maximum de sièges pour réduire le coût des billets ! Le plaisir de votre carte de crédit doit se faire au détriment de votre confort bien sûr !
- Pffffffffffff c’est des conneries! »
Pfhhhhh, pfhhhh continue à souffler jusqu'à demain, ça n'éloignera pas le dossier du siège qui est devant toi.  Et après? je ne suis pas responsable de la configuration des sièges; ce n'est pas moi qui ai étalonné l’espace entre les jambes et les dossiers. La prochaine  fois,  réserve les sortie de secours!
Ces problèmes de place font de toute façon toujours polémique : quand le vol n’est pas plein, ils veulent TOUS deux sièges par personne ou même carrément une rangée entière pour s’allonger. Ils m’inventent je ne sais quel maladie pour que j’ai pitié d'eux et que je leur donne 3 sièges en enfilade.
Ce ne serait pas du luxe d'ajouter une option supplémentaire entre le repas végétarien et l'assurance rapatriement : l'assistance psychiatrique avec Temesta à volonté pour qu'on ait tous la paix pendant le voyage...

jeudi 6 décembre 2012

Confessions d'un steward de David Edelstein

Nous avons lu ...
"Confessions d'un steward" de David Edelstein.
Un livre qui se lit partout : dans le crewbus, entre deux services, sur les longs vols de nuit ou en nightstop au bord de la piscine.
On se projette dans ces moments qu'on a parfois vécus, farfelus voire trash. A lire absolument!

Le pitch :

Tout le monde ne rêve pas d'être hôtesse de l'air. Mais lui, il y a toujours pensé. Un avion est une salle de spectacle : lubies des passagers, délires des commandants de bord qui se prennent parfois pour les rois du monde, équipages qui tentent de gérer au mieux les rotations de vol, les passagers incontrôlables, sans oublier le nettoyage de l'avion. Oui, David Edelstein est steward sur une compagnie low cost.
D'une plume trempée dans le vitriol, il raconte avec humour son quotidien ainsi que la réalité de ce système de gestion de l'aérien qui s'étendra bientôt à Air France et à toutes les compagnies aériennes aux prises avec une conjoncture économique en crise. Mesdames et Messieurs, veuillez attacher votre ceinture de sécurité et découvrez la face cachée du " low cost ". Et bien évidemment, toute ressemblance avec des compagnies aériennes n'est pas fortuite.

mardi 13 novembre 2012

Daaallas! Ton univers impitoyable!


     Que le temps peut être interminable parfois…  Je suis là, assis derrière mon desk depuis 4h du matin, les muscles si engourdis que je me demande si je vais pouvoir me relever un jour de ma chaise.  Enfin, j’étais presque à la fin de mon shift. 
J’étais absorbé par une gymnastique locale pour dégourdir mes orteils endoloris, me balançant comme dans un rocking chair, lorsqu’une espèce de pétasse yankee s’est dressée devant moi.  Elle avait surgi de nulle part comme un spectre en me lançant un « Hiiii ! »  Elle me demandait dans un anglais limpide comme du chewing gum de l’enregistrer pour son vol vers Dallas, via Francfort.  Dallas, bien sûr ! Elle retournait sans doute au ranch, cette bouseuse, après avoir fait la belle dans l'est des rues européennes.
Plantée devant moi comme un cactus, elle m’assénait ses exigences comme autant d’épines qui se plantaient dans ma peau.
« I want a seat at the emergency exit, next to a window AND you will check my luggage until Dallas!
- Yes, Madame, if it is possible! ”
Là, elle s’est  penchée un peu plus vers moi. Les talons détachés de ses santiags, elle s’est donné plus de volume, comme les lézards qui déploient leur collerette lorsqu’ils veulent attaquer une proie. En dressant vers moi son index manucuré prêt à m’embrocher comme une saucisse pour le barbecue du soir, elle a répété : “You willllllll check my luggage until Dallas !
- Of course Madame if it’s possible because…”
Cette espèce de Sue Ellen en manque ne m’a même pas laissé terminer ma phrase et avec toute la classe du Texas, m’a balancé une fois de plus son “You will check my luggage untill Dallas…”
D’où j’étais, je voyais les deux cavités dilatées qui lui servaient de narines, tellement elle levait son blair bien haut.  D’après le relief, elle l’avait certainement refait au rabais.  D’ailleurs tout était faux et low cost chez elle : son lifting lui tirait tellement le visage qu’il rappelait celui de Jackie Stallone. Sa peau suintait le botox par tous les pores et même là, alors qu’elle faisait la gueule, elle semblait sourire.
“Yes, I have to check if it’s possible.”  C’est qu’elle devenait vraiment agaçante, cette pétasse ! Je brûlais de lui dire qu’elle retourne dans son ranch se faire tringler par un cow-boy, à cheval sur son foutu bagage !
“Pfff!  Oh my gooood ! Do you hear what I say ? You will check my luggage until…”
- Ok, ok, ok ! It’s possible ! ” Attends, tu vas voir,  connasse. Ta valise, c’est pas à Dallas que je vais l’envoyer mais à San Francisco. Tu vas galérer pour te faire rapatrier tes bottes à franges, tes chaps en cuir et tes culottes en jeans ! 
“Here you are Madame! This is your boarding’s passes to Frankfurt and then to Dallas and your bags are checked in until Dallas, your final destination!!! As you asked so kindly !!!”
J’ai pris soin de pas lui donner le ticket de son bagage, en feignant de l’avoir rangé dans son passeport.  Je l’avais bien sûr jeté dans la poubelle à mes pieds, pour ne pas laisser de preuve. Daaallas ! Ton univers impitoya-a-ble !
«Have a nice flight Madame!
- Thank you soooo much, m’a-t-elle lancé avec sarcasme et condescendance, comme si j’étais son valet de ferme. »
Quand tu t’apercevras que tes valises ne sont pas arrivées à bon port, mais en Californie, dans une ville gay et démocrate, tu vas faire un sacré rodeo de rage devant le carrousel à bagages de l’aéroport républicain.
     Une semaine plus tard j’étais convoqué au bureau ; je me suis dit que j’allais me faire lyncher… Sue Ellen avait certainement envoyé un mail incendiaire à mon encontre.
 « Steph, tu te souviens d’une valise envoyée à San Francisco ?,  m’a demandé ma superviseure.
- Euh…Oui, pourquoi ?, ais-je rétorqué d’un air innocent. »
Je m’entendais très bien avec elle ; je ne pouvais pas lui mentir.  De toute façon, ça n’aurait servi à rien de nier les faits ! Avec un peu de gêne, mais aussi un sourire au coin des lèvres au souvenir de ce bon coup, j’ai commencé à lui expliquer la scène. Comment elle est arrivée au check-in, comme si elle était sur un cheval, et comment elle a commencé à m’aboyer toutes ses réclamations. Et surtout, comment elle m’avait saoûlé en répétant toujours la même phrase, comme si elle m’avait gueulé de la country dans les oreilles.  Hors de moi, je n’avais pas résisté à l’envie irrépressible de la punir.
Au fur et à mesure que je lui racontais l’histoire, un sourire épanoui se dessinait sur le visage de ma chef.
« Aaah… Je me souviens de celle-là. Elle était venue me faire chier aussi au ticketing pour un upgrade. T’aurais dû l’envoyer plus loin, sa valise ! Pas à San Francisco mais plutôt à Hawaï ou même Tokyo ! »
Moi qui croyais que j’allais passer un mauvais quart d’heure…  Je suis sorti du bureau, en éclatant de rire après ce que ma responsable venait de me dire. Ma pauvre Sue Ellen, il n’y a pas que le Texas où l’univers est impitoyable !

mercredi 7 novembre 2012

Gorilla in the smoke

     A l’époque où je travaillais encore au check-in, je connaissais très bien un représentant local d’une compagnie charter turque. De temps en temps, il me proposait de prester, pendant mes jours disponibles,  des vols ILA (inflight language attendant) pour une compagnie turque.  Celle-ci  opérait, pendant la saison d’été, des vols charter de Bruxelles vers différentes destinations en Turquie . Je faisais l’aller-retour sur la journée. Je n’étais pas responsable de la sécurité à bord, ma tâche  principale était de faire les annonces commerciales en français et en néerlandais sur leurs Airbus 300. Etant donné que la plupart des passagers étaient belges, il fallait aider les crews turcs à bord, si jamais il y avait un problème de communication.  C’était un moyen très commode d’arrondir mes fins de mois.
     Cette fois-là, nous décollions pour Antalya.  Dès la fermeture des portes, j’ai effectué l’annonce d’accueil dans les deux langues.
Mesdames et messieurs,
Nous vous prions de garder votre ceinture de sécurité attachée jusqu’à l’extinction du signal ‘attachez la ceinture’.
Pour votre sécurité, nous vous conseillons de la maintenir attachée pendant toute la durée du vol si vous n’avez pas à vous déplacer.
Ce vol est un vol non-fumeur et pour des raisons de sécurité, il est strictement interdit de fumer dans les toilettes. Toute infraction entraînera des poursuites judiciaires.
Merci.
     Après une heure et demie de vol, les hôtesses turques qualifiées pour la sécurité à bord,  au nombre de 8 sur l’Airbus 300, venaient de terminer le service petit déjeuner.
Tout-à-coup, j’en surprends une qui se glisse comme un blaireau dans le cockpit. Une demi-heure plus tard, elle réapparait. Au seuil de la cabine,  elle se met à se parfumer tout le corps, ses vêtements, ses cheveux. Pire que dans une pub pour Axe, « Plus t’en mets, plus t’en as ! » Je me suis demandé ce qu’elle était partie faire, celle-là… Deux secondes plus tard, une autre a suivi le même chemin.  Après 20 minutes d’éclipse auprès du commandant, elle a ouvert la porte discrètement, et s’est elle aussi parfumée de haut en bas. J’étais perplexe… Les hôtesses de cette compagnie avaient-elles toutes de gros écureuils odorants sous les bras??  Car après elle, une troisième puis une  quatrième ont à leur tour filé dans le cockpit ! Mais qu’est-ce que c’était que ce manège ? Le pilote était-il en train de se les envoyer à la queue-leu-leu ?
     Vraiment, il fallait que j’en aie le cœur net ! Quitte à en crever d’asphyxie en leur sniffant leurs gros écureuils, il fallait que je perce le secret de ces hôtesses aux poils nauséabonds. Au moment où l’une d’entre elle s’est avancée vers moi, j’ai retenu mon souffle, puis je lui ai demandé en anglais : « Qu’est ce vous faites dans ce cockpit ?! Je vous vois aller et venir, l’une après l’autre…
-    Oh j’allais venir te le proposer. Si tu veux fumer, c’est ton tour : tu peux aller dans le flightdeck. »
Je n’étais pas sûr de comprendre : ou elle me faisait une proposition indécente d’une manière très métaphorique, ou… mais tu es sérieuse ?!?  Depuis le début du vol, je me tue à répéter aux passagers, dans toutes les langues, qu’il est interdit de fumer et là, tu me proposes d’aller en griller une !?  C’était gonflé ! A vrai dire, j’avais quand même bien envie de m’en allumer une ! Ce serait à ajouter à la liste de ce que j’ai fait de délirant dans un avion…
     Lorsque j’ai ouvert la porte du poste de pilotage, je me serais cru dans un bain turc : des volutes de fumée fuyaient vers moi, m’aveuglant et me faisant tousser.  Mais comment faisaient-ils pour piloter ? Il aurait été impossible de dire si le cockpit était en feu ou si le commandant et les hôtesses étaient habillés en derviches tourneurs.  Asphyxié par les effluves bleues, la tête me tournait comme après ma première cigarette. J’ai fait un pas de plus, en vacillant, et j’ai aperçu trois silhouettes aux contours indistincts.  C’était le mythe de la caverne, je ne pouvais qu’imaginer ce qui se trouvait dans la pièce.  Ce n’étaient pas les commandants qui se tenaient là, mais des chamans en pleine cérémonie sacrée.  J’étais encore en train de méditer quand le brouillard s’est sensiblement dissipé. Je devinais maintenant le commandant de bord, espèce d’armoire à glace velue, la clope au bec, comme une extension de son appareil respiratoire. Il semblait tapoter avec aisance sur les boutons, à l’aveuglette.
J’ai pris une bouffée d’oxygène vicié et je lui ai demandé : « Captain, may I have a smoke, please ?
-     Yes, yes, smoke, m’a-t-il répondu d’une voix enrouée. »
     Quel vaudeville aérien ! Les passagers fumeurs se bourraient de xanax et se prévoyaient d’enchaîner 3 ou 4 cigarettes dès qu’ils mettraient le pied hors de l’aéroport. Dans le même temps, tout l’équipage s’enfilait clope sur clope, à en remplir les poubelles de l’avion de cadavres de paquets et de mégots. L’expression « fumer comme un turc » prenait là tout son sens…

mardi 6 novembre 2012

Transports mystiques

     Lourdes… 6 millions de visiteurs chaque année venus du monde entier, 60.000 malades et invalides, troisième lieu de pèlerinage catholique, en terme de fréquentation, après le Vatican et Notre-Dame de Guadalupe de Mexico.
Bref, un business
bien juteux pour notre compagnie ! Les crews les plus chanceux volant sur cette destination passaient parfois la journée ou même le week-end sur place. Les autres se tapaient des aller-retour harassants. Certains profitaient de ce pèlerinage obligatoire pour expier leurs péchés de chair ; ils faisaient acte de contrition après avoir profané leur mariage une enième fois ou s’être éveillé d'un black-out, à côté d’un inconnu peu orthodoxe. Dans la flamme des bougies se consumaient les virées éthyliques fornicatoires. Absouts et désormais immaculés, les crews pouvaient s’abandonner à de nouveaux vices.
      Je me rappelle de ce vol où l’on avait effectué un ferry (à vide) vers Shannon, pour ensuite emmener les pèlerins en deux heures à peine à l’aéroport de Lourdes Tarbes pyrénéen. Ma collègue préférée, Eva, avec qui j’avais déjà fait les 400 coups en escale, m’accompagnait ce jour-là. Il était 6h du matin et l’embarquement prenait des airs de procession.
« Good morning, madame!
- Good morning, sweetheart!
- Good morning, sir, welcome!
- G’morning darling, how are u?
- Good morning, welcome!
- Good morning sweetie!
- Welcome !
- Thank you cutie ! »
Ces surnoms polissons d’alcôve, débordants d’amour chrétien, nous changeaient de l’accueil de puritain frigide de nos habituels passagers. En fait, une aura bienveillante, une mentalité unique transcende toujours ces vols : dans une ambiance bon enfant qui relègue La Petite Maison dans la prairie au rang d'une série allemande, tout le monde s’échange des politesses et des sourires. Les bonjours, les mercis et les s’il vous plaît pleuvent en déluge dans cette arche de Noé d’éclopés, d’infirmes, de débiles et de bonnes sœurs… Vu de l’extérieur, ça ressemble aussi à un casting pour un film de David Lynch.
      Cette fois encore, comme d'habitude, l’embarquement durerait une éternité de purgatoire. Dans une odeur opposée à celle de sainteté, rappelant le cloitre et la vieillesse, les chaises roulantes seraient démultipliées… Un interminable calvaire pour installer tout le monde, je ne vous raconte pas la scène !
Les dévots attachés, je checkais la cabine et les issues de secours. Je devais, comme le veut la consigne, m’assurer que des personnes aptes à ouvrir les portes en cas de cataclysme soient assises à leur niveau. Tout à mon office, j'ai tourné la tête à gauche, j’allais expliquer à la personne qui était assise là comment elle pouvait débloquer le système d’ouverture, lorsque j’ai réalisé qu’elle n’avait pas de bras ! A ma droite, un impotent n’arrivait même pas à boucler sa ceinture de sécurité. Je les ai immédiatement changés de place puis j’ai parcouru du regard l’assemblée de pèlerins. Parmi les manchots et les aveugles, les débiles légers ou profonds ou les handicapés moteurs, impossible de trouver âme qui vive pour cette mission. En cas de crash, il faudrait s’en remettre au créateur et espérer un miracle.
      Mais déjà l’heure était au départ, l’ascension commençait, dans un silence de cathédrale. Le service petit déjeuner débutait lorsqu'Eva m’a dit : « Zak, je ne comprends pas ce qu’elle veut… Elle me demande un Brandy avec Ginger Ale.
- Heu… On n’en a pas !
- Do you see it on the top of the trolley ?, a-t-elle demandé à la passagère en montrant le trolley »
La passagère a fait non de la tête. Eva a ajouté avec malice : « So, we don’t have ! Would you like some coffee or tea? »
Dès 8h, la prière du matin encore sur le bout de la langue, ils étaient une dizaine à réclamer ce hard drink pour accéder un peu plus à la passion.
Quelques verres plus tard, Miss Brandy Ginger Ale, déjà exaltée, a arrêté Eva qui passait à sa hauteur et lui a montré la carte de consignes de sécurité. Le regard énigmatique, elle lui a demandé : « What is this ?’’ en désignant l’icône du talon barré. Cette question, elle devait l’avoir ruminée depuis l’heure du Brandy matinal.
L’hôtesse lui a donc dévoilé qu’en cas d’évacuation de l’appareil, les passagers qui portaient des talons devaient les enlever avant de glisser sur le toboggan, afin d'éviter de l’éclater.
Peu convaincue, Miss brandy a fixé les hauts talons d'Eva et a ânonné : " And you ?
- Moi ? Je peux ! I'm allowed!, lui a-t-elle rétorqué."
Puis elle s’est éloignée comme une idole sur ses hauts talons, sans lui laisser une occasion d’en rajouter. Les passagers se mettaient à nous sermonner! C'était le début d'une ère nouvelle, bientôt, ils nous entendraient en confession!
      De mon côté, j’étais en train de méditer sur une question existentielle : pourquoi la compagnie n’avait-elle pas proscrit le sel et le poivre plus tôt ?
Pour faire des économies supplémentaire, elle avait un jour décrété que les kits de couverts posés sur les plateaux repas en seraient dépourvus. Nous avions reçu cette nouvelle comme une délivrance… En effet, sur ce satané vol, les paxs, comme possédés par je ne sais quel esprit malin, versaient tous le sel et le poivre dans leur café, à la place du sucre ! Nous passions notre temps à changer les tasses.
Le sel, je le confesse, peut se confondre avec le sucre.. Mais le poivre ! Le service déjà très serré pour ce vol si bref en devenait infernal… nous courrions comme des damnés en cabine pour que chacun puisse savourer son breuvage sans grimacer. Au moment de débarrasser, il y en avait toujours un, plus inspiré, qui me disait: "Votre café a un drôle de goût, monsieur !’’ Si tu le saupoudres de sel et de poivre, c’est tout-à-fait normal qu'il soit imbuvable ! Jésus changeait l'eau en vin; nos passagers changeaient le café en gaspacho. Et je revois s'amonceler ces reliques de tasses maculées du noir des grains de poivre. Certains, apparemment, croyaient expier leurs péchés en buvant notre ignoble café. Ou peut-être n’osaient-ils pas provoquer notre courroux en en demandant un autre ?
À bord, on assistait régulièrement à des messes données en plein ciel. Je me rappelle de la première fois où j'y ai eu droit. Je servais le café, me frayant un chemin à travers la cabine, tel Moïse fendant les eaux. Soudain, une voix retentissante à entonné un cantique, tous les passagers lui faisaient écho. Moi j'étais là, le pot de café tendu vers un des fidèles, pétrifié, attendant la fin de l'office. Puis, comme c'était interminable, j'ai recommencé à proposer mes boissons. J'ai dû me répéter parfois quatre fois pour me faire comprendre. J'avais l'impression de faire la quête! Un grand moment de solitude. Eva avait même pensé à utiliser le mégaphone de l'avion. pour leur demander ce qu’ils voulaient boire.
Mais nous étions sensés l’utiliser en cas d’évacuation de l’avion, afin d’appeler les pax, et non pour communiquer avec les passagers durs de la feuille.
Souvent, alors, le service ressemblait à ça :
" Madame, voulez-vous boire quelque chose ?
- Pardon?
- Désirez–vous une boisson ?
- Qu’est qu’il dit? Je ne le comprends pas !
- Allume ta pile, Josiane !!!
- Voulez-vous une boisson ?
- Ah ! Ouiii, un coca svp."
Un peu plus loin un manchot demandait à Eva de l’aider à ouvrir son pot de yaourt. Eva, empressée et charitable, l'a pris, l’a ouvert et a constaté que l’emballage était humide et gluant. Dans un éclair de lucidité, elle a compris qu'il avait déjà essayé de l’ouvrir avec ses dents... Estomaquée, elle s’est évaporée aux toilettes pour se récurer les mains.
      Nous voilà à Lourdes, petit paradis posé sur le flanc des Pyrénées, où le blanc et l’or s’associent dans un business sacré. L’innocente Bernadette doit probablement se retourner dans son suaire, en assistant aux conséquences commerciales de ses visions mystiques. Partout, les boutiques de souvenirs pieux, se dressent comme des chapelles, vendant à outrance leurs articles à l'effigie de l’immaculée conception. Des fioles, des bouteilles et même des bidons en forme de vierge se déclinent dans toutes les tailles, et cela jusqu’au format de 10litres, pour ceux qui ont de lourds péchés à récurer à l’eau miraculeuse de la grotte. Posés dans l’ordre, des cierges, du XS au XXL pour consumer toute sorte d’inavouables fautes. Des statuettes tantôt miniatures, tantôt grandeur nature, mais toujours kitsch, sont amassées là. Pour mieux séduire le pénitent, elles sont de toutes sortes et couleurs : à paillettes, transparente, phosphorescente ou lumineuses, telles une apparition. Et juste à côté, des sacs en toile à motif virginal des plus voyants. Oh my God ! Quel mauvais goût !
Enfin, l'objet le plus convoité, la croix du christ, en bois, en argent, en or et surtout en toc, en veux-tu, en voilà et en voilà encore, jusqu’au modèle à taille humaine, pour les illuminés qui veulent vivre le chemin de croix. Ces échoppes divines, c’est le paradis des petites vieilles passionnées de ramasse-poussière d’un autre temps.
L'hôtel où nous logeons est un quatre étoiles d'une autre époque, habité par des retraités, des handicapés et des nones. C'est plutôt un home étoilé suintant le Febreze. Son restaurant, aux prix prohibitifs, sent la cantine de couvent. Malgré tout ça, il dépasse en qualité l’hôtel de la Grotte, dont les chambres sont en effet aussi dépouillées qu’une grotte. La literie fleurie, assortie aux rideaux et à la tapisserie, semble dater en style et en fraicheur du règne de Louis IX.
    La procession se termine généralement à la buvette. Sous des dehors de communion, les pèlerins s’envoient quelques verres de vin de messe, jusqu’à ce que le sang du christ coule dans leur veine en proportion suffisante pour accéder à l’extase. C’est là que certains contemplent leurs propres visions christiques. Les communiants lèvent leur verre en groupe et surtout, jamais seul, car qui trinque seul trinque avec le diable !
Et Lourdes s'endort dans une dernière prière, à la veille d'un nouvel arrivage de fidèles qui envahiront la ville avec encore plus d'ardeur.

samedi 3 novembre 2012

Punta coma


     Souvent, il arrive que les crews soient accompagnés d’un membre de leur famille ou d’un ami. Ceux-ci peuvent apprécier la saveur épicée de notre vie aux 4 coins du monde.  C’est un peu comme de la télé-réalité : tantôt ils nous regardent déambuler en cabine, au rythme des services, tantôt ils nous voient vivre les escales, le feu ravivé par cette présence extérieure. Pour nous, c’est un véritable plaisir d’emmener un proche. Avec un regard neuf, nous redécouvrons ces destinations de rêve. C’est aussi un moment privilégié, plus intime. Dans notre travail, nous n’en savons que trop la valeur : entre deux voyages, nous avons si peu de temps que nous ne pouvons le partager avec tout notre entourage. Pas autant qu'on le voudrait en tout cas.
Il faut dire aussi qu’à la longue, passer du temps libre en escale avec des collègues qu’on ne choisit pas,  ça peut être franchement rasoir ! Lorsqu’on n’a pas d’affinités, on n’a très vite plus rien à se dire, à part se raconter nos vies quotidiennes… Avec certains, on a parfois l’impression d’être un psy de supermarché : oui, Brigitte, quand tu me racontes les exploits et déboires de ton ado de 15ans, comment elle a changé d'appareil dentaire, comment elle joue bien du violon ou elle fait de l'équitation, combien tu t'inquiètes pour sa première boum, etc, etc ; je crois à chaque fois que je vais en crever d’ennui…
Heureusement, dans ce boulot, on trouve aussi de belles amitiés et là, ça devient des vacances authentiques et mémorables.
     Cette fois-là justement, j'ai proposé à Arment, un ami ex-steward, de m’accompagner sur un stop de 3 jours en Rep’Dom. Ce fou furieux, amateur de fêtes, toujours prêt à me faire entrer dans ses délires, connaissait bien la déjantée Rihanna (rien à...) , ma collègue pour qui l’alcool est un sacrement !
Tout avait commencé la veille, juste avant de prendre l’avion… Arment avait entamé les festivités à la tequila avec des amis. Puis, à bord, il avait siphonné un ou deux verres de champagne. Généralement, nos proches étaient choyés pendant le vol, l’alcool était servi gracieusement et quand il y avait de la place en classe VIP, on les upgradait. Ensuite, dans le bus de transfert vers l’hôtel, nous avons éclusé le fameux jungle juice préparé par la chef mais aussi des bouteilles de cava apportées par mon pote comme le veut la tradition ! En effet, chaque buddy qui accompagnait un membre d’équipage apportait un cadeau : souvent des chocolats mais parfois des gâteaux et de temps à autre, des bouteilles qu’on dégustait en escale. Le all-in ne nous suffisait pas !
Arrivé à l’hôtel, il s’est jeté, comme un aigle sur sa proie, sur le minibar de la chambre et s’est envoyé quelques shots de vodka.  Epaté, il a pris les bouteilles exposées en photo et a commenté sur Facebook "A Punta Cana, en mode fiesta." Chaque chambre était en effet équipée d’un distributeur d’alcool : gin, vodka, rhum et cognac, il y en avait pour tous les goûts. Combien de fois n’ai-je pas surpris des collègues en train de mettre en pratique le phénomène des vases communicants entre des bouteilles de soda vides et celles du bar ?  Pour ma part, j’agrémentais mes soirées entre amis en confectionnant d’authentiques mojito ou cuba libre au bon Brugal brun de République Dominicaine.
A la piscine, les rhum coca s’évaporaient l’un après l’autre. J’avais observé un curieux phénomène : les collègues qui buvaient exclusivement du cuba libre pouvaient tenir jusqu’au petit matin, même après un vol de plus de 10 heures ! Probablement que le glucose du rhum et du coca cola alimentait les crews comme le charbon, les antiques locomotives. Ca les rendait presque increvables.
Le soir, au bar de l’hôtel, il commandait avec Rihanna des TGV, 3 shots à boire l’un après l’autre : Tequila, Gin, Vodka.  Ce combustible explosif réagissait dans leur corps, catalysé par la musique latino et les plaisanteries. Eux buvaient ça comme de la limonade. La soirée se terminait au Mangu, où on sortait souvent le premier soir pour être sûr d’avoir le temps de récupérer de nos déchéances alcoolique et d’être opérationnels en vol.
Sur la piste de danse, un redbull vodka à la main, il se déchainait littéralement. Rihanna, elle, s’envoyait des tequilas au bar, avec la barmaid. Elle ne les payait même plus : la serveuse était épatée de la voir descendre tous ces shots, sans sel ni citron, comme une Amazone, à cheval sur son tabouret.  Quant à moi, un peu ivre, j’admirais le spectacle des danses pré-coïtales des autochtones.
     Nos têtes ne tournaient plus très rond. La fatigue nous envahissait peu à peu, après plus de 36 heures d’éveil et le jetlag. Au moment où j’ai décidé de me trainer vers ma couche, je ne trouvais plus Arment. Tel un Sherlock Holmes aviné, je me suis mis à sa recherche, assisté par une Watson explosée. Après une demi-heure d’investigation désespérée dans tous les lieux où il était susceptible de s’être abandonné, je l’ai enfin retrouvé dans les chiottes de la discothèque, affalé sur les toilettes, riant comme un âne, complètement déchiré. A part ça, il avait la réactivité d’un crustacé. J’ignore comment nous l’avons manœuvré vers la sortie mais nous avons enfin pris un taxi. Et le voilà qui s’endort dans une position acrobatique de contorsionniste puis soudain, il se réveille et gueule qu’il doit vomir. En panique, le taximan s’est arrêté juste à temps pour qu’il éructe son mélange éthylique, comme un cocktail Molotov, par la portière entrouverte.  Il avait tellement englouti de vodka que le taxi a dû s’arrêter à plusieurs reprises pour qu’il gerbe. Enfin, le taxi a repris sa vitesse de croisière et  il s’est endormi comme la Belle au bois dormant, sur les trois sièges arrière. Dix minutes plus tard, c’était l’exorciste ! Il était secoué de spasmes et ses yeux se révulsaient ; d’une voix d’outre tombe, il se plaignait d’avoir mal au foie. Justement il m’avait raconté qu’il s’était fait hospitalisé quelques mois auparavant pour cette raison. Je croyais vraiment qu’il allait claquer ! Puis, il  s’est calmé et s’est endormi en rigolant. Mais à nouveau possédé, il s’est mis à crier en respirant bruyamment. Moi, je m'attendais à voir sa tête faire un 360° et me dire des obscénités ; j’étais prêt à appeler un prêtre mais Rihanna m’a dit que c’était juste normal. Non mais elle était sérieuse ?!? Et s’il y passait, je ferais quoi, moi !? Contrairement à elle, je n’avais jamais vu quelqu’un faire une crise de boisson. C’était vraiment impressionnant !
     Finalement arrivé à la réception, après l'avoir trainé sur le sol sur quelques mètres, il a vomi une dernière fois, en plein sur le beau tapis qui décorait l’entrée de l’hôtel. Comme dans un Indiana Jones, j’ai hurlé à Rihanna : «  Attention ! Attention !
- Oh noooooon c’est dégueulasse, putain de sa race ! »
Rihanna  venait de mettre ses pieds nus en plein dans la gerbe. Le réceptionniste a demandé s’il fallait appeler un médecin. J’ai préféré mettre un terme à l’aventure. Je n’avais qu’une chose en tête : le ramener  très vite dans la chambre avant qu’un des crews ne nous aperçoive. Je ne savais pas comment j’allais faire pour le tirer jusque dans la chambre. Bien éméché moi aussi, j’arrivais à peine à le soulever. J’ai regardé à gauche puis à droite et là, j’ai aperçu un chariot à bagage de l’hôtel : je savais ce qu’il me restait à faire !
Avec l’aide de Rihanna, on le taperait dans le chariot pour le voiturer jusqu'à destination.  La scène était décalée, marrante et stressante à la fois. Heureusement que c’était en pleine nuit : imaginez la même scène devant les autres clients de l’hôtel médusés !
« Mama Mia j’ai jamais fait ça, gloussait Rihanna
- Shhhut ferme-la et aide-moi ! »
Je tenais sa tête, pour ne pas qu’elle traine par terre, tout en poussant le chariot. Rihanna prenait soin que ses jambes ne dépassent pas en montant dans l’ascenseur. Et là, face au miroir,on a éclaté de rire ! On se croyait dans un film de Pierre Richard, à deux en train de pousser un caddie, avec comme seul bagage un pote dans un coma éthylique. Enfin, dans la chambre, nous avons pris soin d’immortaliser cette scène décadente en prenant quelques photos et même une vidéo. Quelle tête il ferait en visionnant cette déchéance…
     Le lendemain après une bonne nuit de sommeil, Arment s’est réveillé, comme si rien de tout cela ne s’était passé. Je lui ai demandé si ça allait mieux et il m’a répondu d’un air surpris que tout allait très bien. Il ne se souvenait vraiment de rien ! Nous lui avons montré la vidéo et les photos de sa folle nuit. Il en était pas fier, il s’en excusait auprès de nous puis, devant autant de surréalisme, il a éclaté de rire.
 « Vous m’avez ramené dans la chambre sur le chariot a bagage ?! Ca, c’est la meilleure de l’année ! J’avais jamais fait ça !
- Ben nous, on s’en rappellera, on a bien galéré pour te convoyer comme un cadavre à la morgue ! Et surtout, on a bien déliré en te prenant en photo ! »
Dans l’après-midi, il a changé son statut Facebook :  « Still in Punta cana but in Punta coma.»