Durant la saison estivale, la compagnie avait
dealé un contrat avec des tours opérateurs anglais pour opérer des vols
charters du Royaume Unis et de l’Irlande vers la « F*** me I'm famous » island des Baléares. Elle y avait basé un avion qui ferait des
allers retours pendant toute la période. Une vraie ligne de coke.
Le mois
d’août allait me réserver la surprise d’un sésame vers cette destination
extatique. La mission de 3 jours commençait par un dead heading, qui nous
transportait sur place en tant que passagers. C’est Iberia et ses hôtesses
matadors qui allaient nous y expédier dès l’aube, comme à une sortie de discothèque.
Les yeux collés et deux de tension, nous nous sommes vautrés sur nos sièges
comme des « Pachas ». Un battement de cils plus tard, nous étions à
Madrid où une correspondance nous attendait pour l’île stupéfiante. Arrivés à
destination, nous étions déjà en train de programmer nos sorties, orchestrées
par un collègue qui connaissait les bonnes adresses.
Les bagages posés, nous
avons commencé notre trip de l’île par la plage. A playa d'en Bossa, les clubbeurs
récupéraient la nuit, explosés sur leur serviette, les yeux éclatés masqués par
des lunettes noires, l’écume aux lèvres. De loin, on se demandait s’ils
dormaient ou s’ils avaient succombé à une overdose car juste à côté, Lmfao, le
son monté à fond, invitait quelques pouffiasses en string et hauts talons à se
trémousser sur le dance floor granuleux. « I’m sexy and I know it »
criaient les hystériques, dressant leur coupe de champagne comme pour atteindre
le ciel. Nous avions tous hâte de monter dans ce train déraillé et c’était
l’heure de l’apéro. La sangria, la tekila, la vodka, les mojitos coulaient à
flot un peu partout en ville, hors de prix.
Le temps
passe vite chez les Guetta et la nuit était déjà tombée. Mais la nuit du
continent est le jour d’Ibiza. Notre
guide nous a emmenés dans les hauteurs de la vieille ville, qui se réveillait
doucement. Tout-à-coup, une meute de créatures de la nuit, dansant et chantant sur
la house music, défilait sous nos yeux hagards. Ils venaient promouvoir le
programme de soirée de leurs discothèques. Il y avait des hommes, des femmes,
des travestis, des animaux anthropomorphes, bardés de plumes multicolores et
coiffés comme au carnaval de Rio. Une collègue et moi voulions nous joindre à
ce cortège de l’enfer mais malheureusement pour nous, nous devions planer tout autrement,
dès 6h du mat vers East Middland airport.
A l’embarquement, un groupe de jeunes filles
en fleurs, grisées par les faveurs des DJ résidents, jouaient les stars, se
faisant prendre, en photo cette fois, en face des boutiques. Encore sous GHB, elles se moquaient des
derniers appels pour embarquer et accumulaient quelques clichés
supplémentaires. Elles
allaient même pouvoir tourner un film de leur déchéance car le commandant avait
décidé de faire décoller le zinc sans elles!
Quant à nous, nous ramènerions les
fêtards, condamnés à se sevrer de tout ce qu’ils avaient pris puis apporterions
sur l’île la nouvelle déferlante de clubbers célibataires et de familles. Même
avec les sens altérés, il n’était pas difficile de distinguer les uns des autres.
Le clubbeur est fashion dès 6 heures du matin. Il voyage seul ou en groupe
exubérant. Il porte son tshirt à l’effigie des temples païens : « le Pacha »,
« le Space », « l’Amnesia » ou « le Privilège », expose sa collection de
tatouages et fait sonner les portiques de sécurité du check in avec sa
collection de piercings. La clubbeuse chausse des bottes à franges, un mini
short en jeans déchiré et un chapeaux de cow-boy à paillettes pour chevaucher Pégase.
Ils épuisent à eux seuls les stocks de miniatures d’alcool. Ils s’attaquent
ensuite au champagne, puis au vin ou à la bière jusqu’à assécher le
trolley. Certains, avec leur frange et
leur sourire béat, sont des clones de Cathy et David Guetta. Perdues dans cette
faune nocturne, des familles stéréotypées, au facies stupéfait comme s’ils
regardaient défiler la gay pride. Et oui, à Ibiza, il y a aussi des plages et
des hôtels pour petites familles modèles… Sidji et Donovan couvaient d’un
regard rassurant Kenny et Sandy regardant un Disney sur leur « I-Patt »,
entourés d’une dizaine de jeunes toxicos saisonniers plongés en hypersommeil,
après avoir chassé le dragon toute la nuit. Ils amorceraient leur descente
bien après l’avion…
La nouvelle
vague vers Ibiza était des plus raffinées.
En classe VIP, un couple de gays très tendance malgré leurs 50 ans, paradaient comme deux hybrides de Cathy et David, un plus blondasse, l’autre plus peroxydé,
mais aimant tous deux les beats comme les Guetta. Ils avaient emmené dans leur bagage
à main, Vuiton bien sûr, un caniche rose qui mourrait sûrement un jour
d’asphyxie, à force d’être teint. Ses
petites pattes manucurées, son mantelet Chanel
et son collier en diamants Swarovski étaient comme un appel à la prostitution
canine. Juste à côté d’eux, un couple du
même âge mais au look d’ancien motard, s’était installé laborieusement. La
femme avait une jambe qu’elle disait enflée par une chute, mais qui suait la
goutte ; une de ses pantoufles semblait prête à exploser à la gueule des
vieilles folles au caniche qui lui jetaient des regards méprisants et écoeurés.
Son kif devait être l’ivresse répétée car, comme dans un morceau techno hardcore,
elle rotait bruyamment dans les basses après chaque gorgée de champagne de bienvenue. Son mari racontait aux
malheureux passagers qui se rendaient aux toilettes les moments les plus
captivants de sa vie de merde. Je me
demande encore ce qu’ils allaient foutre en classe VIP…et encore plus à Ibiza!
Un peu plus
loin, en classe éco, deux copines étaient assises ; c’était comme une
hallucination sous LSD. L’une avait une tête de putois, avec sa coupe rasée sur
les côtés et sa brosse noire à unique bande blanche. L’autre avait en guise de
cheveux un castor mort sur la tête, la
queue pendant vers l’arrière, à la Davy Crocket. J’imaginais la tête du clubbeur qui
aurait pris du peyotl et qui tomberait nez à nez avec ces deux créatures zoomorphes
lui parlant avec un accent de Liverpool déformé par le protoxyde d’azote… Very bad
trip ! Mais l’avion
allait enfin décrocher du ciel et atterrir sur l’île de la musique électro, de
la drogue, du sexe et des familles exemplaires.
(à suivre)