«Egypte, où les mathématiques règnent
Des pyramides au marchandage,
Des pyramides au marchandage,
Egypte, qui vit au rythme des crues de touristes
Te glissant leurs euros entre les seins..
Te glissant leurs euros entre les seins..
Egypte, belle, antique et mystérieuse,
Que de peuples insatiables te foulent du pied!
Fière et sûre de tes charmes surannés,
Tu ne repousses aucun de tes ardents prétendants.»
Mais je n'étais ni Baudelaire, ni Rimbaud. Je n'étais qu'un cabin crew.
Pour chanter ta beauté séculaire, avec mon stylo made in China au nom de la compagnie, usé par les inventaires des duty free et des bars, j'allais devoir me contenter de raconter simplement notre idylle.
Ce matin de décembre, je m'étais bien préparé à cette rencontre avec toi, fabuleuse Egypte . J'étais libre et disponible, car cette fois, j'étais dans l'envers du décor, en tant que passager avec un ami également épris de tous tes visages.
Comme tous les amoureux enflammés, nous étions au rendez-vous avec beaucoup d'avance. Anxieux, mon ami attendait au check-in, irréprochable. Enfin, c'est ce qu'il pensait.
Comme un automate bien huilé, l'agent du check-in lui a demandé s'il avait sa carte d'identité. Persuadé que ce papier ne valait pas grand chose à côté du passeport, il l'avait balancé chez lui dans un tiroir. Mais son passeport ne valait rien non plus : sa date de validité était dépassée, à deux jours près. Il allait sans doute être refoulé à la douane, et qui sait, il connaîtrait les pires outrages comme dans "Midnight express" ! Aïe! L'avion décollait dans une heure. Juste le temps de retourner chez lui et de revenir trop tard au checkin clôturé !
Heureusement, nous pouvions prendre le vol suivant.
Après les formalités, nous accédions enfin à l'embarcation qui nous mènerait à El Gouna. Quelques heures plus tard, nous survolions les puzzles d'eau et de sable et je m'imaginais, marchant sur les quais m'amusant à lire les sordides noms des yachts amarrés.
Notre hôtel était situé en pleine marina, cerné par les lagunes. Tout autour, les autres hôtels , le Sheraton, le Movenpick,... étalaient leurs atouts de poule de luxe pour séduire le touriste allemand, le gratin russe ou la haute société égyptienne. A 200€ la nuit, ça valait la peine de vendre sa vertu! Accoutumés au all-in et au Château Migraine, nous ne pouvions que traverser ces jardins luxuriants pour aller manger au resto thaï du Movenpick.
Un dîner de gala allait être donné pour le nouvel an. On sentait au préparatifs qui se faisaient un peu partout dans l'hôtel que la nuit serait effervescente à la Spidifen.
Dès 18h, nous étions conviés à un apéritif. Les traditionnels cocktails Ajax « fête des fleurs » étaient de la partie. Le gosier bien décapé, nous nous gavions de canapés. Nous devions rejoindre le bus nous menant à l'immense tente où se donnerait la réception. En fait, le temps de nous goinfrer, de descendre quelques verres de piquette et de constater que les chiottes étaient inutilisables, nous étions déjà en route vers l'hôtel en milieu de soirée.
Dans la rue, c'était la fashion week. Je venais de faire remarquer à mon ami la dégaine mini short en jeans et collant Peter Pan d'une passante, lorsque je croisais déjà une autre fille, vêtue d'un short aux poches plus longues que son ourlet, chaussée de Dock Martens gothiques. Partout où je posais mon regard, ce n'était que le même mini short à toutes les sauces assorti de tops dorés brillants, de talons, de bottillons ou de Hughs "boule à facettes", chaloupant au rythme des beats résonnant dans tout le port. Cette armée de mini-short semblait revendiquer l'émancipation de la jeunesse bourgeoise égyptienne. Parfois des collants opaques masquaient avec pudeur les jambes dévoilées mais la plupart du temps, les tenues auraient pu rivaliser avec celles de la plus bimbo des Russes. La musique de la discothèque Loca Loca résonnait de plus en plus fort dans la marina. Sur les quais, les yachts impayables, sûrement dédiés aux afters, vomissaient leur propre musique dance. Les ombres chinoises comme projetées sur les hublots nous laissaient deviner la présence de convives à bord. Avec ce vacarme d'enfer, les vieux touristes venus pour se reposer, devaient se sentir pris en otage, se tortillant frénétiquement dans leur lit pour trouver le sommeil.
Le premier jour de l'année 2014, El Gouna avait la gueule de bois. La promenade était déserte, les employés des hôtels rangeaient le matériel et les petits vieux insomniaques nageaient dans la piscine par dessus les tessons de verres et les mégots, restes de la soirée endiablée donnée tout autour.
Quant aux mini shorts, arrachés et roulés en boules sur le sol, ils devaient encore ronfler dans leur chambre... Les Russes pour qui chaque jour était un réveillon sirotaient des cocktails louches au bar de la piscine.
Nous nous contentions de nous dorer au soleil, appréciant le calme des transat vides tout autour.
Soudain, en feuilletant une brochure touristique, nous sommes tombés sur une excursion vers Louxor et ses sublimes monuments. Après 6h de car avec des cassos anglais échappés d'Hurghada, on nous proposait la visite du temple de Karnak et de la Vallée des rois. Six heures, c'était aussi interminable que d'être enfermé dans un sarcophage avec une cougar allemande ivre morte mais l'agent local proposait, pour le modique supplément de 40 euros par tête, une visite privée à bord d'une voiture, avec quatre heures seulement de voyage. Séduits, nous avons pris cette option.
Le lendemain, à 6h tapante, momifiés par la fatigue, nous embarquions dans la voiture, prêts à remonter les siècles. Le guide nous a salué dans un français parfait alors que le chauffeur était muet comme un shahouabti, ces statues en bois déposées dans les pyramides et destinées à servir le pharaon dans l'autre monde. En fait, il n'était pas en bois, il était juste en mode veille, conduisant comme un automate, indifférent aux autres véhicules. Contrairement à son compagnon de travail, il refusait systématiquement les sucreries belges que je leur proposais.
A la moitié du chemin, il s'est garé dans le parking d'un relais routier. Un pied a peine hors de la voiture, des marchands sont sortis de leurs tentes installées là et se sont jetés sur nous comme des faucons sur un lapin, nous proposant leurs breloques dans toutes les langues.
Nous nous sommes attablés dans la cafétaria en plein air. Un homme trapu au visage patibulaire y faisait à la fois office de barman et de Mme pipi. Comme nous nous dirigions vers les toilettes, il nous a invités avec une classe indescriptible d'ours en rut à payer d'avance deux livres égyptiennes (0,25€). Nous avons feint de ne pas le voir, il nous a alors suivis jusqu'aux urinoirs pour nous les réclamer. L'agent empoché, il a craché par terre et il a couru reprendre sa place indispensable au bar. Sa fonction "extrêmement complexe" y était d'appuyer sur le bouton adéquat de la machine a café. Il vous vendait son savoir faire de buvette de salle omnisports au prix d'un café place San Marco...
Le voyage pouvait reprendre. Nous traversions un désert sans fin. La route longeait une voie ferrée dépouillée : le guide nous a expliqué qu'après la première révolution du printemps arabe, des vandales avaient pillé le chemin de fer pour revendre les rails au prix du métal.
D'ailleurs, au milieu de nulle part, des bédouins étaient payés pour surveiller nuit et jour les relais téléphoniques qui auraient été destinés à subir le même sort. Leur cabane rudimentaire était construite juste à coté des pylônes.
Plus loin, arrivés aux abords du Nil, le paysage se métamorphosait. Nous entrions dans la verdure égyptienne nourrie par le fleuve sacré. Vue du ciel, l'Égypte est un peu comme un énorme sandwich où le pain grillé du désert compressait le vert des champs limoneux et le vert sombre du Nil.
La premier étape de la visite était le temple de Karnak. Le guide nous a proposé de le rejoindre à l'entrée du temple. Nous nous demandions pourquoi il ne nous accompagnait pas... lorsque nous avons compris qu'avant d'y accéder, il fallait traverser un étroit couloir jonché de dizaines de boutiques. A chaque pas, il fallait repousser les avance des marchands insistants qui nous jetaient leur marchandise à la gueule. Au début, nous disions non, timidement, mais ils nous collaient avec tant d'insistance qu'il avait fallu changer de tactique. Slalomant sans mot dire, il fallait les éviter, inclinant la tête dans tous les sens pour éviter les objets en simili albâtre dont ils étaient armés. Les prix présentés au rabais prenaient des dimensions pharaoniques.
Les concurrents étaient cassés sans scrupules. Un vrai couloir de la mort.
Mais la visite fallait bien cette pénible épreuve. Après une place gigantesque, nous sommes arrivés devant une allée de sphynxs. Derrière eux se dressaient la porte du temple et des statues gigantesques de Ramses II et de son épouse Néfertari. Enfin une de ses épouses car le pharaon, que le guide surnommait "Ramsexe" avait plus de 80 épouses et concubines. Plus loin encore, on accédait à la salle majestueuse aux 134 colonnes. Le guide nous a alors raconté l'histoire d'Amon-min, le Casanova égyptien représenté en érection permanente, qui fertilisa autrefois toutes les femmes d'un village pendant que leurs maris étaient à la guerre.
Il y avait aussi les deux obélisques de la reine Hatchepsout, masquées rageusement derrière des murailles par son successeur Thoutmosis III, à qui elle avait usurpé le pouvoir.
Toute cette débâcle d'informations nous avait creusé l'appétit... Notre guide avait tout prévu : juste après le temple de Karnak, on nous "attendait" dans un superbe restaurant en plein Louxor. Nous y mangerions de délicieux plats typiquement égyptiens, dans un cadre somptueusement oriental.
Après une course folle dans la ville, nous nous garions devant le restaurant... Même pas surpris, nous avons évité les vendeurs postés devant la porte comme des gargouilles, nous déroulant le tapis rouge de leurs marchandises. Nous sommes entré dans une salle vide, vaste, froide et silencieuse. Le restaurant somptueux ressemblait plutôt à une cantine scolaire. A la seule table occupée, un couple d'italiens hypnotisé par la voix fatiguée de leur guide terminaient leurs assiettes. Autour d'eux, comme des abeilles autour d'une ruche, les serveurs voletaient. Comme ils nous avaient aperçus, l'un d'eux s'est avancé, nous a donné les cartes et nous a souhaité un "Bon appétite!" jovial. Le menu était simple, c'était un buffet à volonté. Nous avons dévalisé le bar puis regagné nos places, recevant un "Bon appétite!" en plein vol. Alors, nous avons englouti le contenu de nos assiettes, dans un silence de morgue. Le serveur nous a lancé un autre "Bon appétite!" sans s'apercevoir sans doute qu'il n'y avait plus rien à manger. Au moment de payer, nous lui avons tendu un billet, il a prétendu ne pas avoir de monnaie; il craignait sans doute que nous le plantions là sans son pourboire. Il a finalement disparu pendant cinq minutes pour revenir triomphant nous jeter la monnaie sur la table.
Le temple de la reine Hatchepsout, rebaptisée par notre guide "hot chicken soup" était majestueux, posé au loin, au pied d'une falaise. Dans le train touristique, pendant que j'essayais de discerner la forme subliminale de la femme assise observant le temple d'en haut, taillée par la nature dans le roc, mon ami mitraillait toutes les pierres qu'il pouvait. Après une volée de marche, vous vous retrouviez face à une rangée de reines Hatchepsout, fixant l'horizon d'un air autoritaire. C'était impressionnant et beau. Entre deux statues, une porte vous menait à la pièce centrale du temple, puis à un couloir creusé dans la roche, auquel nous n'avions pas accès.
Après une course folle dans la ville, nous nous garions devant le restaurant... Même pas surpris, nous avons évité les vendeurs postés devant la porte comme des gargouilles, nous déroulant le tapis rouge de leurs marchandises. Nous sommes entré dans une salle vide, vaste, froide et silencieuse. Le restaurant somptueux ressemblait plutôt à une cantine scolaire. A la seule table occupée, un couple d'italiens hypnotisé par la voix fatiguée de leur guide terminaient leurs assiettes. Autour d'eux, comme des abeilles autour d'une ruche, les serveurs voletaient. Comme ils nous avaient aperçus, l'un d'eux s'est avancé, nous a donné les cartes et nous a souhaité un "Bon appétite!" jovial. Le menu était simple, c'était un buffet à volonté. Nous avons dévalisé le bar puis regagné nos places, recevant un "Bon appétite!" en plein vol. Alors, nous avons englouti le contenu de nos assiettes, dans un silence de morgue. Le serveur nous a lancé un autre "Bon appétite!" sans s'apercevoir sans doute qu'il n'y avait plus rien à manger. Au moment de payer, nous lui avons tendu un billet, il a prétendu ne pas avoir de monnaie; il craignait sans doute que nous le plantions là sans son pourboire. Il a finalement disparu pendant cinq minutes pour revenir triomphant nous jeter la monnaie sur la table.
Le temple de la reine Hatchepsout, rebaptisée par notre guide "hot chicken soup" était majestueux, posé au loin, au pied d'une falaise. Dans le train touristique, pendant que j'essayais de discerner la forme subliminale de la femme assise observant le temple d'en haut, taillée par la nature dans le roc, mon ami mitraillait toutes les pierres qu'il pouvait. Après une volée de marche, vous vous retrouviez face à une rangée de reines Hatchepsout, fixant l'horizon d'un air autoritaire. C'était impressionnant et beau. Entre deux statues, une porte vous menait à la pièce centrale du temple, puis à un couloir creusé dans la roche, auquel nous n'avions pas accès.
Le soir, après cette longue journée de visite, nous avons pris le chemin du retour. Le chauffeur épuisé avait cédé sa place au volant à notre guide. Il semblait conduire pour la première fois; il confondait les phares, roulait au milieu de la route, ou dépassait des camions lancés à vive allure en plein virage...Plongé dans la série B rétrospective de ma vie de merde, je me disais que cette ultime visite était quand même pas mal, quoi!
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