vendredi 12 octobre 2012

Puta Cana

     Il y a des moments délicieux où on ne fait strictement rien, ni d’utile, ni de productif, ni d’intéressant. On n'a envie de rien d'autre que du néant, et pourtant on se sent comblé.  Comme dans un cocon, on se coule dans un lit, avec un paquet de chips, et on savoure la vacuité d'une série qu'on a déjà vue... Ce soir là, j'étais plongé dans cette inertie quand le téléphone, rangé au loin, s'est mis à vibrer comme une bombe prête à exploser. C’était un attentat dans ma tranquillité, le crew center m’appelait. Après deux secondes d'hésitation, j'ai décroché. La voix enjouée de la téléopératrice m'a lancé : « Bonsoir, on a un PUJ pour toi demain. Est-ce tu veux le faire ? »
« PUJ », c’était le joli nom de code pour l’aéroport de Punta Cana.
Si je voulais? Non, non, merci, là je suis occupé, une autre fois peut-être?? Comme si j'avais le choix! J’étais de réserve et donc je ne pouvais refuser. Une sympathique collègue, spécialisée dans la simulation chronique de l’une au l’autre maladie, s’était encore bouché une narine avec le doigt pour s’inventer je ne sais quel virus… Quelle pouffiasse, elle a sûrement encore programmé un barebac' avec ses potes!  
     Le lendemain au petit matin, j’ai bouclé ma valise comme toujours : quelques minutes avant le départ. A moitié comateux, machinalement, je jetais mes vêtements sur ceux qui étaient encore là du voyage précédent. Je sais que certains vont me détester pour ce que je vais dire mais j’étais vraiment lassé de passer tout un weekend en République Dominicaine. Imaginez la galère : 30° toute l’année, une eau claire comme du cristal, un sable blanc à en faire mal aux yeux, des buffets gargantuesques, des cocktails servis à la demande H24, la fiesta todos la noce sur un son tropical… le dépaysement intégral. Intégral jusqu’au public : sur cette destination, il était haut en couleur!
Pour les passagers ayant réservé un package vol+hôtel, les formalités pour un séjour en Rep’ Dom requérait seulement une carte d’identité ; le ruineux passeport était facultatif.  Par contre, les autorités locales se remplissaient les poches en leur facturant une carte touristique à 10€ pour se rattraper. 
Mais ces touristes étaient bien ternes comparés aux Dominicains qui rentraient au pays. Avec ces chicas et ces chicos au style flashy, l’embarquement prenait des airs de Fashion Week :  des bombas latinas, perchées acrobatiquement sur des échasses, tapaient du talon dans l’allée comme si elles défilaient sur un tapis rouge pour Karl Lagerfeld.  Débauche de couleurs aveuglantes, abondance de tissus moulants et chamarrés, les nouvelles collections nous éblouissaient à chaque fois. Le chuchotin, ce fuseau moulant des années ‘80 où on devine des lèvres qui bougent mais qui restent muettes, avait été remis au goût du jour par les Dominicaines. Pour elles, il passait par toutes les couleurs, toutes les matières et tous les motifs. Tantôt en simili cuir ou en faux jeans, tantôt en coton à motifs panthère ou en lycra bleu électrique, ces « moulent moules » détournaient un temps l’attention de tout le reste du corps. On ne remarquait qu’après le maquillage extravagant et provocant, les cheveux usés par les colos, couleur de foin sec, les ongles comparables à des griffes de tigresse. Les décolletés pailletés supportaient comme ils pouvaient leurs poitrines en plastoc. C’était la folie de Salvatore Dali dans un film porno. A côté de ces feux d’artifices humains, les hommes, en jeans troués taille basse, casquette mode Papi Sanchez, et diamant sur l'oreille, paraissaient beaucoup plus banals. 
     Entre les services, les chicas et chicos, pour tuer les longues heures de vols, faisaient la fiesta, en s'envoyant discrètement derrière le dossier des sièges leurs propres bouteilles de whisky achetées au duty free de l’aéroport.  Ils désertaient leurs sièges pour s'amasser à l'arrière de l'avion et hurler et rire comme s'ils voulaient couvrir le bruit des moteurs. La musique reggaeton jouée par leurs IPhones ajoutait au tintamarre humain une dimension encore plus cacophonique. Un vrai bordel volant !
Parmi toutes ces fêtes aériennes improvisées, je me rappelle de cette Portoricaine qui nous avait offert un beau scandale.  Son fils lui avait demandé d’y aller mollo avec le Bacardi orange.  Un peu trop tard sans doute, car elle s’était alors mise à lui coller des tartes, complètement hystérique.
Ma collègue Eva, surnommée Rihana (Rien à … parce qu’elle se foutait de tout),  lui a ordonné de se calmer, sinon elle la changerait de place. L’intéressée a commencé à hurler en espagnol : « J’ai payé ma place !! Je reste ici si je veux ! 
- Oui ! Comme tous ceux qui sont autour de vous et là, vous dérangez tout le monde avec vos règlements de comptes. Donc maintenant vous aller me suivre et vous installer à la dernière rangée ! »
Elle s’est mise à pleurer comme une vache et à insulter son fils ; toute la cabine en a profité :
« Te gusta en el culo ! en el culooooo ! hijo de p… ! » en tapant son poing sur le plat de la main… Le message était clair. Tout le monde était maintenant au courant des penchants de son fils. 
     Après une dizaines d’heures de vol on est enfin arrivé à PUJ . L’aéroport était très accueillant ; le terminal ressemblait à un ensemble de huttes géantes avec des toits de chaume. Des musiciens nous jouaient des musiques merengue… Quel accueil paradisiaque ! Il ne manquait que les colliers de fleurs, les filles en jupe de paille et le nain de l'Ile fantastique.
Quand le chef de cabine osait enfreindre les règles, il faisait tomber les restes du bar des business pour nous préparer un breuvage rafraichissant et relaxant qui nous mettait déjà dans l'ambiance lors du transfert vers notre hôtel. Le « Jungle juice » était un mélange de champagne, cointreau, gin, vodka et un peu de jus d’orange pour lui donner de la couleur. Les bulles montait très vite à la tête, surtout après une journée bien épuisante. Nous arrivions souvent à la réception, saouls comme des Polaks.

     Nous logions dans un soi-disant palace. Tu parles ! Rien que l’odeur d’humidité dans les chambres lui faisait perdre toutes ses étoiles. Pour la déco, on se croyait à l’époque de Christophe Colomb. Passé la porte de l’hôtel, vous replongiez des siècles en arrières. Les soubrettes en uniforme allaient et venaient partout, en plein colonialisme. Elles « nettoyaient » les chambres comme personne : elles nous piquaient du fric, des bijoux, des fringues dans nos valises, tout ce qui avait un peu de valeur. Mais Eva avait mis au point une bonne technique répulsive. Dans le coffre-fort de sa chambre, elle ne plaçait que ses strings sales !
Les boniches brillaient aussi pour leur discrétion. Alors que vous récupériez de longues heures sans sommeil, le silence était soudain rompu par un « Pshhhht … Mariaaaaaa! Debemos limpiar la habitacions tres cientos y ocho pschhhht ! 
Mariaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !?! 
- Bale ! Bale ! Juanita acuerdo »
Les soubrettes beuglaient leurs instructions à leurs collègues dans un talkie walkie anachronique, qu'elles avaient peut-être piqué à Starsky et Hutch, lors d'un passage à Punta Cana...
     Dans notre luxueux palace, la nourriture était très originale. Là, nous voyagions à nouveau dans le temps, mais dans le futur cette fois.  Les plats servis étaient à l'avant garde culinaire : des sushis au salami ou au jambon fromage... c'était peut-être ce qui attendait le Japon lorsqu'il serait envahi par l'Occident. En tout cas, c'est le genre de mets qu'on ne mange qu'une fois!  Quant aux cocktails, ils étaient bien chargés : le barman avait la main lourde pour masquer le goût chimique des jus de fruits lyophilisés... Sans alcool, ils avaient une saveur d'Ajax fête des fleurs. Les boissons étaient servies par des pimbêches effrontées, à la mini-jupe pas plus longue qu'une ceinture, si prêt du corps que leurs énormes fesses semblaient sur le point d'en exploser l'étoffe. Elles vous demandaient sans vous regarder, ce que vous vouliez boire. Les hôtesses raffolaient du cava glacé qui coulait à flots au bar, 24 heures  sur 24. Les passagers, qui logeaient dans le même hôtel que nous, enrageaient de nous voir vivre gratuitement la même vie qu'eux, en plus excessif !  Il y en avait toujours un pour nous observer dans notre déchéance. C’était gênant quand un pax sur le vol retour vous réprimait un " Hum... je vous ai tous vus au bar de la piscine de l hôtel, pétés comme des coings en train de rire comme des ânes et vous, vous ne vous en rappelez plus bien sûr, tellement vous étiez déchirés !"
C'est vrai que les sorties étaient toujours bien arrosées ! Le Mangu était un endroit parfait pour faire la fiesta à Punta Cana : une discothèque sur deux étages, avec de la musique dance electro à l’étage et au rez de chaussée, du reggaeton, merengue, pop, rap… De la bonne musique mise en images par des danseurs et danseuses bien foutus mais en short ou jupe courte, bardés de chaines et de munitions, comme dans le film Predator. Etrange  contraste. Au bar, des putes aguichaient tout ce qui passait à leur portée . 
Un de mes collègues, un peu éméché vient se vanter auprès de nous :
« Elle sont toutes à mes pieds, je suis le roi de la boite!
- Mais non, Fred. C’est des putes ! »
Et les filles de joie, de plus en plus allumeuses, faisant tressauter leurs gros seins : « Hay papi ! Do you like what you see ?
- Yesssssssssssssss, répond Fred, le roi des putains
- My name is Milky. Do you want to wiki wiki ??
- Mmmmh of course !
- Euuuh Fred, je crois que c'est un mec !
- 100$ and we go to your hotel ! »
Un peu plus loin, au bar, il y a un gros pervers qui demande à Eva : « What’s your name ? » Elle ne se tourne même pas vers lui pour répondre : « 'Don’t speak english. », se lever aussitôt et s'éloigner comme une pétasse.
Sur la piste, une autre collègue danse avec un toy boy de 20ans ou plutôt il se frotte à elle comme un jeune chien en chaleur. Elle nous a expliqué par la suite qu’il vibrait contre elle autant qu’un vibro... Tout autour, les locaux s’agitent par paires ou impaires sur du reguetton, en chantant "A ella le gusta la gasoliiiina (Da me mas gasoliiiina!)" comme dans le clip de Daddy Yankee. Leur chorégraphie mimait les va-et-vient d'un porno amateur de Snoop Dog. Au milieu de la piste, un couple était en train de faire la brouette. Juste à côté, deux autres à quatre pattes étaient en train de se cogner les reins. Un peu plus loin, le toy boy avait posé ses mains par terre et, avec ses jambes, avait attrapé Rita pour tenter de lui masser le bas-ventre. Dans les appétits de la nuit, Punta Cana se travestissait en puta cana et les corps brûlaient plus qu'un soleil de midi.

1 commentaire:

  1. "des sushis au salami ou au jambon fromage" Lol, dégueulasse!

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