dimanche 5 janvier 2014

Voyage pénétrant en Egypte du sud

   
Tout aurait pu commencer par un poème...
«Egypte, où les mathématiques règnent 
Des pyramides au marchandage, 
Egypte, qui vit au rythme des crues de touristes 
Te glissant leurs euros entre les seins.. 
Egypte, belle, antique et mystérieuse, 
Que de peuples insatiables te foulent du pied! 
Fière et sûre de tes charmes surannés, 
Tu ne repousses aucun de tes ardents prétendants.» 

Mais je n'étais ni Baudelaire, ni Rimbaud. Je n'étais qu'un cabin crew. Pour chanter ta beauté séculaire, avec mon stylo made in China au nom de la compagnie, usé par les inventaires des duty free et des bars, j'allais devoir me contenter de raconter simplement notre idylle.
     Ce matin de décembre, je m'étais bien préparé à cette rencontre avec toi, fabuleuse Egypte . J'étais libre et disponible, car cette fois, j'étais dans l'envers du décor, en tant que passager avec un ami également épris de tous tes visages.
Comme tous les amoureux enflammés, nous étions au rendez-vous avec beaucoup d'avance. Anxieux, mon ami attendait au check-in, irréprochable. Enfin, c'est ce qu'il pensait. Comme un automate bien huilé, l'agent du check-in lui a demandé s'il avait sa carte d'identité. Persuadé que ce papier ne valait pas grand chose à côté du passeport, il l'avait balancé chez lui dans un tiroir. Mais son passeport ne valait rien non plus : sa date de validité était dépassée, à deux jours près. Il allait sans doute être refoulé à la douane, et qui sait, il connaîtrait les pires outrages comme  dans "Midnight express" ! Aïe! L'avion décollait dans une heure. Juste le temps de retourner chez lui et de revenir trop tard au checkin clôturé ! 
     Heureusement, nous pouvions prendre le vol suivant. Après les formalités, nous accédions enfin à l'embarcation qui nous mènerait à El Gouna. Quelques heures plus tard, nous survolions les puzzles d'eau et de sable et je m'imaginais, marchant sur les quais m'amusant à lire les sordides noms des yachts amarrés.
Notre hôtel était situé en pleine marina, cerné par les lagunes. Tout autour, les autres hôtels , le Sheraton, le Movenpick,... étalaient leurs atouts de poule de luxe pour séduire le touriste allemand, le gratin russe ou la haute société égyptienne. A 200€ la nuit, ça valait la peine de vendre sa vertu! Accoutumés au all-in et au Château Migraine, nous ne pouvions que traverser ces jardins luxuriants pour aller manger au resto thaï du Movenpick.
     Un dîner de gala allait être donné pour le nouvel an. On sentait au préparatifs qui se faisaient un peu partout dans l'hôtel que la nuit serait effervescente à la Spidifen. Dès 18h, nous étions conviés à un apéritif. Les traditionnels cocktails Ajax « fête des fleurs » étaient de la partie. Le gosier bien décapé, nous nous gavions de canapés. Nous devions rejoindre le bus nous menant à l'immense tente où se donnerait la réception. En fait, le temps de nous goinfrer, de descendre quelques verres de piquette et de constater que les chiottes étaient inutilisables, nous étions déjà en route vers l'hôtel en milieu de soirée. 

Dans la rue, c'était la fashion week. Je venais de faire remarquer à mon ami la dégaine mini short en jeans et collant Peter Pan d'une passante, lorsque je croisais déjà une autre fille, vêtue d'un short aux poches plus longues que son ourlet, chaussée de Dock Martens gothiques. Partout où je posais mon regard, ce n'était que le même mini short à toutes les sauces assorti de tops dorés brillants, de talons, de bottillons ou de Hughs "boule à facettes", chaloupant au rythme des beats résonnant dans tout le port. Cette armée de mini-short semblait revendiquer l'émancipation de la jeunesse bourgeoise égyptienne. Parfois des collants opaques masquaient avec pudeur les jambes dévoilées mais la plupart du temps, les tenues auraient pu rivaliser avec celles de la plus bimbo des Russes. La musique de la discothèque Loca Loca résonnait de plus en plus fort dans la marina. Sur les quais, les yachts impayables, sûrement dédiés aux afters, vomissaient leur propre musique dance. Les ombres chinoises comme projetées sur les hublots nous laissaient deviner la présence de convives à bord.  Avec ce vacarme d'enfer, les vieux touristes venus pour se reposer, devaient se sentir pris en otage, se tortillant frénétiquement dans leur lit pour trouver le sommeil. 
     Le premier jour de l'année 2014, El Gouna avait la gueule de bois. La promenade était déserte, les employés des hôtels rangeaient le matériel et les petits vieux insomniaques nageaient dans la piscine par dessus les tessons de verres et les mégots, restes de la soirée endiablée donnée tout autour. Quant aux mini shorts, arrachés et roulés en boules sur le sol, ils devaient encore ronfler dans leur chambre... Les Russes pour qui chaque jour était un réveillon sirotaient des cocktails louches au bar de la piscine. Nous nous contentions de nous dorer au soleil, appréciant le calme des transat vides tout autour. 
Soudain, en feuilletant une brochure touristique, nous sommes tombés sur une excursion vers Louxor et ses sublimes monuments. Après 6h de car avec des cassos anglais échappés d'Hurghada, on nous proposait la visite du temple de Karnak et de la Vallée des rois. Six heures, c'était aussi interminable que d'être enfermé dans un sarcophage avec une cougar allemande ivre morte mais l'agent local proposait, pour le modique supplément de 40 euros par tête, une visite privée à bord d'une voiture, avec quatre heures seulement de voyage. Séduits, nous avons pris cette option. 
     Le lendemain, à 6h tapante, momifiés par la fatigue, nous embarquions dans la voiture, prêts à remonter les siècles. Le guide nous a salué dans un français parfait alors que le chauffeur était muet comme un shahouabti, ces statues en bois déposées dans les pyramides et destinées à servir le pharaon dans l'autre monde. En fait, il n'était pas en bois, il était juste en mode veille, conduisant comme un automate, indifférent aux autres véhicules. Contrairement à son compagnon de travail, il refusait systématiquement les sucreries belges que je leur proposais. A la moitié du chemin, il s'est garé dans le parking d'un relais routier. Un pied a peine hors de la voiture, des marchands sont sortis de leurs tentes installées là et se sont jetés sur nous comme des faucons sur un lapin, nous proposant leurs breloques dans toutes les langues. Nous nous sommes attablés dans la cafétaria en plein air. Un homme trapu au visage patibulaire y faisait à la fois office de barman et de Mme pipi. Comme nous nous dirigions vers les toilettes, il nous a invités avec une classe indescriptible d'ours en rut à payer d'avance deux livres égyptiennes (0,25€). Nous avons feint de ne pas le voir, il nous a alors suivis jusqu'aux urinoirs pour nous les réclamer. L'agent empoché, il a craché par terre et il a couru reprendre sa place indispensable au bar. Sa fonction "extrêmement complexe" y était d'appuyer sur le bouton adéquat de la machine a café. Il vous vendait son savoir faire de buvette de salle omnisports au prix d'un café place San Marco... 
     Le voyage pouvait reprendre. Nous traversions un désert sans fin. La route longeait une voie ferrée dépouillée : le guide nous a expliqué qu'après la première révolution du printemps arabe, des vandales avaient pillé le chemin de fer pour revendre les rails au prix du métal. D'ailleurs, au milieu de nulle part, des bédouins étaient payés pour surveiller nuit et jour les relais téléphoniques qui auraient été destinés à subir le même sort. Leur cabane rudimentaire était construite juste à coté des pylônes. Plus loin, arrivés aux abords du Nil, le paysage se métamorphosait. Nous entrions dans la verdure égyptienne nourrie par le fleuve sacré. Vue du ciel, l'Égypte est un peu comme un énorme sandwich où le pain grillé du désert compressait le vert des champs limoneux et le vert sombre du Nil. La premier étape de la visite était le temple de Karnak. Le guide nous a proposé de le rejoindre à l'entrée du temple. Nous nous demandions pourquoi il ne nous accompagnait pas... lorsque nous avons compris qu'avant d'y accéder, il fallait traverser un étroit couloir jonché de dizaines de boutiques. A chaque pas, il fallait repousser les avance des marchands insistants qui nous jetaient leur marchandise à la gueule. Au début, nous disions non, timidement, mais ils nous collaient avec tant d'insistance qu'il avait fallu changer de tactique. Slalomant sans mot dire, il fallait les éviter, inclinant la tête dans tous les sens pour éviter les objets en simili albâtre dont ils étaient armés. Les prix présentés au rabais prenaient des dimensions pharaoniques. Les concurrents étaient cassés sans scrupules. Un vrai couloir de la mort. 
    
Mais la visite fallait bien cette pénible épreuve. Après une place gigantesque, nous sommes arrivés devant une allée de sphynxs. Derrière eux se dressaient la porte du temple et des statues gigantesques de Ramses II et de son épouse Néfertari. Enfin une de ses épouses car le pharaon, que le guide surnommait "Ramsexe" avait plus de 80 épouses et concubines. Plus loin encore, on accédait à la salle majestueuse aux 134 colonnes. Le guide nous a alors raconté l'histoire d'Amon-min, le Casanova égyptien représenté en érection permanente, qui fertilisa autrefois toutes les femmes d'un village pendant que leurs maris étaient à la guerre.  
Il y avait aussi les deux obélisques de la reine Hatchepsout, masquées rageusement derrière des murailles par son successeur Thoutmosis III, à qui elle avait usurpé le pouvoir. 
     Toute cette débâcle d'informations nous avait creusé l'appétit... Notre guide avait tout prévu : juste après le temple de Karnak, on nous "attendait" dans un superbe restaurant en plein Louxor. Nous y mangerions de délicieux plats typiquement égyptiens, dans un cadre somptueusement oriental.
Après une course folle dans la ville, nous nous garions devant le restaurant... Même pas surpris, nous avons évité les vendeurs postés devant la porte comme des gargouilles, nous déroulant le tapis rouge de leurs marchandises. Nous sommes entré dans une salle vide, vaste, froide et silencieuse. Le restaurant somptueux ressemblait plutôt à une cantine scolaire. A la seule table occupée, un couple d'italiens hypnotisé par la voix fatiguée de leur guide terminaient leurs assiettes. Autour d'eux, comme des abeilles autour d'une ruche, les serveurs voletaient. Comme ils nous avaient aperçus, l'un d'eux s'est avancé, nous a donné les cartes et nous a souhaité un "Bon appétite!" jovial. Le menu était simple, c'était un buffet à volonté. Nous avons dévalisé le bar puis regagné nos places, recevant un "Bon appétite!" en plein vol. Alors, nous avons englouti le contenu de nos assiettes, dans un silence de morgue. Le serveur nous a lancé un autre "Bon appétite!" sans s'apercevoir sans doute qu'il n'y avait plus rien à manger. Au moment de payer, nous lui avons tendu un billet, il a prétendu ne pas avoir de monnaie; il craignait sans doute que nous le plantions là sans son pourboire. Il a finalement disparu pendant cinq minutes pour revenir triomphant nous jeter la monnaie sur la table.

    Le temple de la reine Hatchepsout, rebaptisée par notre guide "hot chicken soup" était majestueux, posé au loin, au pied d'une falaise. Dans le train touristique, pendant que j'essayais de discerner la forme subliminale de la femme assise observant le temple d'en haut, taillée par la nature dans le roc, mon ami mitraillait toutes les pierres qu'il pouvait. Après une volée de marche, vous vous retrouviez face à une rangée de reines Hatchepsout, fixant l'horizon d'un air autoritaire. C'était impressionnant et beau. Entre deux statues, une porte vous menait à la pièce centrale du temple, puis à un couloir creusé dans la roche, auquel nous n'avions pas accès.
     Le soir, après cette longue journée de visite, nous avons pris le chemin du retour. Le chauffeur épuisé avait cédé sa place au volant à notre guide. Il semblait conduire pour la première fois; il confondait les phares, roulait au milieu de la route, ou dépassait des camions lancés à vive allure en plein virage...Plongé dans la série B rétrospective de ma vie de merde, je me disais que cette ultime visite était quand même pas mal, quoi!

mercredi 7 août 2013

Ibiza loverdose




Durant la saison estivale, la compagnie avait dealé un contrat avec des tours opérateurs anglais pour opérer des vols charters du Royaume Unis et de l’Irlande vers la « F*** me I'm famous » island des Baléares. Elle y avait basé un avion qui ferait des allers retours pendant toute la période.  Une vraie ligne de coke.
Le mois d’août allait me réserver la surprise d’un sésame vers cette destination extatique. La mission de 3 jours commençait par un dead heading, qui nous transportait sur place en tant que passagers. C’est Iberia et ses hôtesses matadors qui allaient nous y expédier dès l’aube, comme à une sortie de discothèque. Les yeux collés et deux de tension, nous nous sommes vautrés sur nos sièges comme des « Pachas ». Un battement de cils plus tard, nous étions à Madrid où une correspondance nous attendait pour l’île stupéfiante. Arrivés à destination, nous étions déjà en train de programmer nos sorties, orchestrées par un collègue qui connaissait les bonnes adresses. 
Les bagages posés, nous avons commencé notre trip de l’île par la plage. A playa d'en Bossa, les clubbeurs récupéraient la nuit, explosés sur leur serviette, les yeux éclatés masqués par des lunettes noires, l’écume aux lèvres. De loin, on se demandait s’ils dormaient ou s’ils avaient succombé à une overdose car juste à côté, Lmfao, le son monté à fond, invitait quelques pouffiasses en string et hauts talons à se trémousser sur le dance floor granuleux. « I’m sexy and I know it » criaient les hystériques, dressant leur coupe de champagne comme pour atteindre le ciel. Nous avions tous hâte de monter dans ce train déraillé et c’était l’heure de l’apéro. La sangria, la tekila, la vodka, les mojitos coulaient à flot un peu partout en ville, hors de prix.

Le temps passe vite chez les Guetta et la nuit était déjà tombée. Mais la nuit du continent  est le jour d’Ibiza. Notre guide nous a emmenés dans les hauteurs de la vieille ville, qui se réveillait doucement. Tout-à-coup, une meute de créatures de la nuit, dansant et chantant sur la house music, défilait sous nos yeux hagards. Ils venaient promouvoir le programme de soirée de leurs discothèques. Il y avait des hommes, des femmes, des travestis, des animaux anthropomorphes, bardés de plumes multicolores et coiffés comme au carnaval de Rio. Une collègue et moi voulions nous joindre à ce cortège de l’enfer mais malheureusement pour nous, nous devions planer tout autrement, dès 6h du mat vers East Middland airport.   

A l’embarquement, un groupe de jeunes filles en fleurs, grisées par les faveurs des DJ résidents, jouaient les stars, se faisant prendre, en photo cette fois, en face des boutiques.  Encore sous GHB, elles se moquaient des derniers appels pour embarquer et accumulaient quelques clichés supplémentaires.  Elles allaient même pouvoir tourner un film de leur déchéance car le commandant avait décidé de faire décoller le zinc sans elles! 
Quant à nous, nous ramènerions les fêtards, condamnés à se sevrer de tout ce qu’ils avaient pris puis apporterions sur l’île la nouvelle déferlante de clubbers célibataires et de familles. Même avec les sens altérés, il n’était pas difficile de distinguer les uns des autres. Le clubbeur est fashion dès 6 heures du matin. Il voyage seul ou en groupe exubérant. Il porte son tshirt à l’effigie des temples païens : « le Pacha », « le Space », « l’Amnesia » ou « le Privilège », expose sa collection de tatouages et fait sonner les portiques de sécurité du check in avec sa collection de piercings. La clubbeuse chausse des bottes à franges, un mini short en jeans déchiré et un chapeaux de cow-boy à paillettes pour chevaucher Pégase. Ils épuisent à eux seuls les stocks de miniatures d’alcool. Ils s’attaquent ensuite au champagne, puis au vin ou à la bière jusqu’à assécher le trolley.  Certains, avec leur frange et leur sourire béat, sont des clones de Cathy et David Guetta. Perdues dans cette faune nocturne, des familles stéréotypées, au facies stupéfait comme s’ils regardaient défiler la gay pride. Et oui, à Ibiza, il y a aussi des plages et des hôtels pour petites familles modèles… Sidji et Donovan couvaient d’un regard rassurant Kenny et Sandy regardant un Disney sur leur « I-Patt », entourés d’une dizaine de jeunes toxicos saisonniers plongés en hypersommeil, après avoir chassé le dragon toute la nuit. Ils amorceraient leur descente bien après l’avion…

La nouvelle vague vers Ibiza était des plus raffinées.  En classe VIP, un couple de gays très tendance malgré leurs 50 ans, paradaient comme deux hybrides de Cathy et David, un plus blondasse, l’autre plus peroxydé, mais aimant tous deux les beats comme les Guetta. Ils avaient emmené dans leur bagage à main, Vuiton bien sûr, un caniche rose qui mourrait sûrement un jour d’asphyxie, à force d’être teint.  Ses petites pattes manucurées, son mantelet Chanel  et son collier en diamants Swarovski étaient comme un appel à la prostitution canine.  Juste à côté d’eux, un couple du même âge mais au look d’ancien motard, s’était installé laborieusement. La femme avait une jambe qu’elle disait enflée par une chute, mais qui suait la goutte ; une de ses pantoufles semblait prête à exploser à la gueule des vieilles folles au caniche qui lui jetaient des regards méprisants et écoeurés. Son kif devait être l’ivresse répétée car, comme dans un morceau techno hardcore, elle rotait bruyamment dans les basses après chaque gorgée de champagne de bienvenue. Son mari racontait aux malheureux passagers qui se rendaient aux toilettes les moments les plus captivants de sa vie de merde.  Je me demande encore ce qu’ils allaient foutre en classe VIP…et encore plus à Ibiza!
Un peu plus loin, en classe éco, deux copines étaient assises ; c’était comme une hallucination sous LSD. L’une avait une tête de putois, avec sa coupe rasée sur les côtés et sa brosse noire à unique bande blanche. L’autre avait en guise de cheveux  un castor mort sur la tête, la queue pendant vers l’arrière, à la Davy Crocket. J’imaginais la tête du clubbeur qui aurait pris du peyotl et qui tomberait nez à nez avec ces deux créatures zoomorphes lui parlant avec un accent de Liverpool déformé par le protoxyde d’azote… Very bad trip ! Mais l’avion allait enfin décrocher du ciel et atterrir sur l’île de la musique électro, de la drogue, du sexe et des familles exemplaires.


(à suivre)

vendredi 28 juin 2013

Voilà l'été et de nouvelles histoires déjantées...

Après de longues semaines d'overbooking, nous sommes de retour. En juillet, nous vous ferons voyager au Kenya et au Mexique... 
A bientôt!

jeudi 4 avril 2013

Back to Japan !

    
     Depuis que j'avais vu à la télé « Retour vers le futur », je rêvais de voyager moi aussi dans le temps et surtout vers le futur. A bord d'une machine complexe ou d'une poubelle, peu m'importait pourvu que je puisse à mon gré passer d'une époque à une autre... Lorsque j'ai reçu mon billet pour le Japon, j'ignorais que j'allais non seulement voyager dans le temps mais aussi dans l'espace. Tout le monde sait que le Japon est passé du moyen âge à l'époque contemporaine en quelques dizaines d'années, et qu'il ne s'est pas arrêté dans sa course et nous a tous laissés derrière avec nos gros walkman attachés à nos ceintures. Mais saviez-vous que le Japon était une autre planète ? Les valeurs humaines, esthétiques et monétaires à notre envers et l’absence totale de déodorant (oui les Japonais, eux, ne sentent pas les dessous de bras) allaient me retourner le cerveau.

     Dès l'embarquement dans l’avion, tout avait commencé à aller à reculons. Je me suis installé à ma place au milieu d’un ordre si absolu qu'il aurait choqué les crews de Ryana'air! Le repas du soir avalé, les passagers calmes comme des vaches sacrées étaient déjà en train de se préparer pour dormir. Les visages satisfaits observaient à la dérobée les allées et venues de l’équipage. De temps en temps, un des passagers sortait une feuille de papier et y inscrivait quelque chose, l'air profondément inspiré. Etait-il occupé à écrire des haikus sur le calme et l’altitude, les paysages défilant au loin ? En tout cas, il semblait particulièrement productif après un passage de crew. J'étais stupéfait par autant de poésie. En discutant bien plus tard avec un steward, ce dernier m'a éclairé sur ces mystérieux poèmes. A bord, les passagers japonais affichent toujours un sourire clément devant le personnel qui se trompe, qui renverse ou qui oublie une requête. Mais après coup, ils ne manquent pas de coucher perfidement sur le papier le moindre manquement afin d’introduire une réclamation à la compagnie pour ce vol lamentable…

     Après une dizaine d'heures à traverser des contrées inconnues, je débarquais à l’aéroport d’Osaka. Celui-ci flottait intégralement sur la mer. Le débarquement discipliné n’avait pas duré longtemps. Nous sortions de l'avion comme sur un tapis roulant. Au contrôle des passeports, un douanier à la mine patibulaire m’a considéré avec méfiance. Il s’était beaucoup attardé sur le visa qui était sublimement coloré : chaque zone du cachet était d'une couleur différente, vraiment trop kawai ! Trop peut-être car l'homme à casquette avait disparu, me laissant là sans explications. Il me prenait sûrement pour un clando. Peut-être voyait-il dans le coloriage de mon visa une espèce de terrorisme contre l'industrie du manga... Un quart d’heure plus tard, il avait ouvert la porte d’un lointain bureau et me faisait signe de la main. Il l’agitait de bas en haut, comme s'il me disait : "Casse-toi !" Je me suis donc exécuté, je ne voulais pas qu'il me fusille en plein aéroport. Mais plus je m’éloignais, plus il agitait frénétiquement la main. Croyant que je n’allais pas assez vite, j’ai accéléré la manœuvre. Je ne souhaitais pas
finir enterré dans le sable comme David Bowie dans "Merry Christmas Mr Lawrence"! Là, sa face est devenue violette, couleur que je n'avais justement pas sur mon visa. Exaspéré, il s’est approché de moi à grand pas, et m’a escorté jusqu’au fameux bureau où, après analyse de mon passeport, on m'a finalement relâché. Dans le body-language de cet autre monde, « Casse-toi !» veut dire « Viens ! » Ce douanier qui avançait et moi qui reculais ne pouvions vraiment pas nous rejoindre...

     Toutes ces émotions m’avaient donné envie de méditer dans les toilettes de l'aéroport. Je m'y suis donc enfermé, ignorant encore que la méditation deviendrait séance de yoga. Ce modèle de toilettes, variante de celui des Turcs, était un vrai casse-tête chinois au confort digne du moyen âge. Pour parvenir à se relâcher décemment, il fallait se tenir acrobatiquement accroupi, légèrement incliné vers l’arrière. En équilibre précaire, le pantalon saucissonnant les chevilles, je manquais de basculer si quelqu'un ouvrait la porte d'un wc voisin. J'avais un ami qui m'avait avoué que lui n'y arrivait pas et qu'il enlevait tous ses vêtements lorsqu'il allait aux toilettes.
La voiture de mes amis était davantage une Toyota qu'une DeLorean mais arrivé chez eux, j'étais dans le futur : un tout autre style de toilettes, ultramodernes celles-là, m’attendait. Dès l’entrée dans la pièce, rassuré par la présence d’un siège, je suis aussitôt devenu perplexe. Mais que faisait une télécommande juste à côté de la lunette ? Y avait-il une radio intégrée pour couvrir tout bruit intempestif ? Un écran télé allait-il sortir du plafond pour me faire passer le temps en cas de constipation ? Le nombre de boutons était restreint. Dès que je me suis assis, j’ai appuyé sur un des boutons avec un mélange d'angoisse et de curiosité.
C'était comme si j'enfonçais le bouton de commande d'une ogive nucléaire.J’ai entendu un bruit suspect sous moi. Comme un tzzzzzz de quelque chose qui coulisse. Je n’ai pas eu le temps de comprendre qu’un puissant jet d’eau, non nucléaire mais glacé, m’arrosait par en bas. Dans un réflexe plein de pudeur face à cette tentative de viol, je me suis levé précipitamment, la fontaine sanitaire continuait à arroser toute la pièce. En panique je pianotais sur la télécommande pour tout arrêter. Un bruyant sèche cheveux ou sèche ce qu'on veut s’est à son tour actionné sous la cuvette, stoppant le jet. Je pouvais sortir de là, sans scrupules.

     Les repas aussi avaient quelque chose d'inversé, et je ne parle pas de la maîtrise aléatoire des baguettes qui a failli me faire mourir de faim. Invité à déjeuner dans un restaurant traditionnel, je m'étais assis devant une plaque chauffante individuelle. Un énorme coquillage d'au moins 30cm de diamètre y était posé. Je me demandais comment j'allais extirper de là la chair caoutchouteuse... Une espèce de geisha est sortie de nulle part et a branché solennellement toutes les plaques chauffantes en une fois. Quelque chose s'est soulevé sous la grosse coquille. Une énorme limace répugnante en est sortie pour tenter d'atteindre le bord de la plaque. Elle devait se sentir comme Jeanne d'Arc sur cette chaleur qui allait en grandissant. A quelques centimètre, elle s'est immobilisée : elle était cuite. A ma gauche, un Japonais avait retourné la bête, et à coup de baguettes commençait à sortir ce gros chewing-gum de sa carapace... Un petit déj avec des croissants légers, des fruits et du jus d'orange frais? Pas au Japon ! Ici, c'est limace géante et thé bouillant. Cependant, on s'y fait, et très vite on prend l'habitude de se caler l'estomac tôt le matin. Les mets que j'allais découvrir par la suite ne devraient plus m'étonner autant... excepté ce jour où je me suis installé à une table ornée de petits aquariums ronds. Au moment où je me disais que c'était une déco originale, mes amis m'ont annoncé que j'allais devoir attraper les poissons avec des baguettes et les manger vivants et entiers. Ils ont ajouté comme pour me rassurer que je pouvais euthanasier les poissons dans ma bouche à coup de shots de sake...

     Ce sont les promenades dans la rue qui me donnaient encore plus cette impression que le Doc m'avait envoyé dans une autre époque. Dans presque toutes les rues, on trouvait des distributeurs de tout : cigarettes, boissons ou sous-vêtements...  Aux arrêts de bus, 20ans avant que ça le soit chez nous, les véhicules étaient annoncés sur des panneaux d'affichage.  Les feux rouges parlaient autant que les bus qui indiquaient la prochaine station. Dans les métros, les gens voyageaient en somnambules. Ils se tenaient agrippés comme par réflexe aux mains courantes, ronflant la bouche ouverte. Des gens étaient payés pour faire entrer tout le monde dans les wagons aux heures de pointe. Dans certains quartiers, des "kawai" (mignonne en japonais) aux cheveux bleus, verts ou roses, relookées comme des personnages de manga croisaient les salariés en costume terne.  Je rêvais à une battle improvisée où une kawai sortirait une sucette magique de son collier en plastoc et la ferait tournoyer en rubans mauves autour du fonctionnaire soudain transformé en Sangoku mais ça n'est jamais arrivé.

     Au retour vers l'aéroport, j'avais plus d'images chocs en tête que jamais. D'ailleurs, le Japon, ça se déguste, et à l'inverse des Japonais qui enchainent les visites de Paris, Rome et Londres en 3 jours, il faut au moins autant de temps pour découvrir vraiment tous les mystères d'un seul quartier.

dimanche 17 mars 2013

mARNAKEch

   
     Lorsque je suis sorti de l'agence qui venait de m'offrir en promotion un passeport pour des vacances all-in inoubliables, loin des douches estivales belges qui duraient des heures, j'avais déjà presque oublié la destination choisie. En fait, l'employée m'avait tellement gavé d'informations que mon indécision s'était portée sur Marrakech. J'ignorais tout de cette cité touristique mais mon cerveau était saturé d'images utopiques de catalogue : la palmeraie luxuriante et aride à la fois où poussaient de sublimes palais orientaux, la place Jama El Fna où l'on assiste à des spectacles incroyables en plein air et le souk où l'on trouve des trésors d'artisanat local.
     Le vol opéré par la célèbre compagnie ibérique m'emmenait vers cette destination de rêve, mais dans une ambiance moins glamour. Le système digestif rudoyé à la fois par un repas frugal à la mode Franco et par la conduite inégale du pilote, j'essayais de m'imaginer le soir même, un cocktail à la main, noyé dans la fragrance jasmin et le rouge flamboyant de l'hôtel. Mais les hôtesses qui croisaient dans le couloir comme des matadors au masque dédaigneux, me piquant à chaque commande me ramenaient encore à la réalité de mon siège en velours économique.
     Dès le premier pas hors de l'avion, j'ai eu l'impression de respirer à travers un sèche cheveux. Un vent chaud soufflait, et l'air brûlant jetait comme un voile sur le tarmac de la piste. Je descendais les marches de l'appareil, pressé d'arriver au contrôle des douanes et de sortir de l'aéroport pour me glisser dans les scènes magiques et voluptueuses promises par la brochure. Un car attendait les touristes pour les emmener vers l'hôtel 4 étoiles qui se trouvait justement sur la grande route qui relie l'aéroport à Marrakech. Le transport n'a pas été long, et déjà je jetais ma valise négligemment dans ma chambre pour repartir aussitôt et commencer l'aventure vers le centreville.
     J'avais frôlé l'accident une dizaine de fois, en marchant sur la route sans trottoir où les voitures me touchaient presque à chaque passage mais j'avais finalement atteint Gueliz, le nouveau quartier de Marrakech.
Tout me semblait propre et structuré, à part les routes où une seule bande accueillait côte à côte deux véhicules klaxonnant, avant même que le feu ne passe au vert. Je devais découvrir ce jour là qu'au Maroc, cela revient cher de changer les plaquettes de frein; donc on ne freine pas, on klaxonne, et tant pis pour les sourds!  Heureusement, je ne l'étais pas, et surtout je regardais à gauche et à droite avant de traverser. Je devais également découvrir qu'il fallait regarder aussi devant et derrière voire en haut et en bas, avant toute manoeuvre. J'avais l'impression d'être la grenouille suicidaire dans un jeu des années 80 et j'étais étonné de ne pas trouver, imprimées dans le goudron, des traces d'impact et des taches de sang.
     En touriste avisé, je m'étais procuré le dernier guide du Routard. Je me croyais donc très futé et j'étais persuadé qu'il me préserverait de toute arnaque. J'avais justement lu, dans l'avion, un article riche en conseils pour éviter les faux guides qui se baladaient en ville, prêts à presser le touriste comme une orange.  J'étais immobile en plein milieu du trottoir, occupé à me situer sur un des plans pour éviter les quartier louches, les sourcils froncés marquant ma perplexité. Il ne manquait qu'une pancarte géante dans mon dos "Je suis paumé, arnaquez-moi!" Heureusement, un homme d'une cinquantaine d'année, sûr de lui et rassurant comme un père de famille, s'était approché et me proposait de m'indiquer le chemin vers le centre ville. Pendant que je me confondais en merci, il m'interrogeait. D'où venez-vous? Quel travail faites-vous en Europe? Avez-vous des amis au Maroc, etc. Je trouvais cela très sympa de s'intéresser à moi de cette façon. Il était si empressé de me rendre service, qu'il ne me lâchait plus. Comme nous approchions du centre, du moins je le pensais, il a commencé à me parler des soirées passées sur les toits aménagés de Marrakech, face au soleil couchant, qui était bien plus beau encore avec un joint au bout des doigts. Puis, il a embrayé en me parlant des filles marocaines qui étaient si jolies. J'étais un peu étonné qu'après dix minutes de conversation, ce respectable père de famille me propose à demi mots de me fourguer du shit et des putes. Mais, sentant que je n'étais pas intéressé, il a ajouté que son cousin était un marchand honnête, contrairement aux autres commerçants de Marrakech qui profitent de l'ignorance des touristes concernant les prix. Il travaillait justement à deux pas d'ici... Déterminé à me débarrasser de lui, j'ai accepté la visite.  
     Quelques minutes encore et j'étais dans le magasin du "cousin". Trop poli pour être libre, je me surprenais à observer avec intérêt une breloque inutile. J'écoutais avec lassitude le commerçant, qui me suivait comme une ombre, se répandre sur les vertus des plateaux en métal et des turbans touareg. Je me rapprochais progressivement de la sortie mais toujours les cousins se mettaient sur mon chemin. C'était clair : je n'arriverais pas à m'en décrocher sans acheter quelque chose. Je scannais les articles, cherchant celui qui selon moi me coûterait le moins cher. Mon regard s'est arrêté sur une paire de babouches jaune canari. Je me disais que ce serait un souvenir acceptable ou qu'au pire elles me serviraient de pantoufles! J'ai donc interrompu la diarrhée mercantile du vendeur :
"C'est combien?
- 200 dirhams, 20 euros."
J'étais en train de me dire que c'était un peu cher pour un objet qui ne me plaisait pas. Mais il avait repris son supplice argumentaire et mon soi-disant sauveur, devenu bourreau, me barrait toujours la route vers la liberté. C'était étrange, je me sentais psychologiquement piégé par ma politesse. Je devais arrêter ça. J'ai sorti deux billets de 100 Dh et je les lui ai tendus. Puis, les mains encombrées de ces pimpantes babouches, je me suis faufilé vers la sortie comme un étron dans un rectum : dépouillé de mes devises, je n'étais plus qu'un déchet. Inutile de dire que j'étais refroidi, et que je maudissais le Routard et mon incapacité à dire non! Inutile de dire aussi qu'il m'avait encore plus éloigné du centre ville. Cependant, je n'osais plus sortir mon guide en pleine rue...

     Mais je voulais ajouter à cette expérience désagréable d'autres expériences plus proche de la chaleur et de l'hospitalité, apanages des gens de Marrakech.
Avec une témérité proche de l'inconscience, je suis allé tout droit dans la gueule du souk... Il y avait une logique dans ce labyrinthe de ruelles étroites et tortueuses. Elles étaient organisées par spécialités, comme des rayons de supermarché. Dans les boutiques, tout était amassé pêle-mêle, sur les étagères et sur le sol.  Le contraste était au rendez-vous : aux étoffes rouge, bleu majorelle ou vert pistache succédaient une rangée de têtes de moutons à emporter. Plus loin dans le quartier des tanneurs, je voyais les gens tannés par l'odeur se balader un bouquet de menthe sous le nez. J'en ai rapidement compris la raison en reniflant le mélange de cuir neuf et d'urine. Au détour d'une autre ruelle, des lampes en fer forgé multicolores avaient attiré mon regard. Fort de ma précédente expérience, j'ai arboré un air détaché pour en demander le prix. Le camelot m'a répondu :
"D'abord, choisis tout ske ti vo et puis on parle pour le prix.
- Je voudrais cette lampe orange. C'est combien?
- Prends encore autre chose.
- Je veux juste savoir le prix, par curiosité.
- Oui, oui, oui."
C'était un dialogue de sourd; enfin il se foutait complètement de ce que je disais.  Là, j'ai repensé aux babouches jaunes et je me suis lancé dans les négociations.
" Alors, elle est à combien?
- Combien ti vo payer?"
J'étais pris au dépourvu. Impossible d'estimer la valeur de cette foutue lampe, je ne savais pas quoi lui répondre. Finalement, après m'avoir proposé de fixer le prix, c'est lui qui me l'a imposé, plus cher évidemment que le prix réel. Comme je contestais ce dernier, il avait ajouté qu'elle était faite en peau de chameau, contrairement aux autres qui étaient en peau de chèvre. Au bout de ce négoce, je sortais pourtant de là avec la lampe, payée au prix fort. Un grand spectacle de mentalisme.

     Toutes ces tractations m'avaient donné faim, et le contenu de mon portefeuille ayant bien diminué, j'ai commencé à chercher un snack à l'apparence modeste. En pleine place Jemma El Fna, j'ai ressorti mon Routard. Justement, ils conseillaient une petite échoppe sur la place. Je me suis assis à une table, de tous ces restaurants improvisés, une fumée appétissante s'élevait jusqu'au ciel. Sur le menu, les prix étaient clairement indiqués. Comme ils avaient l'air raisonnables, j'ai appelé le serveur. Il avait déjà une salade à la main qu'il a posée devant moi. Quelle hospitalité : une salade d'accueil ! J'ai commandé aussitôt un quart de poulet rôti. Quelques minutes plus tard, il m'apportait des frites, du riz, du pain et bien sûr le poulet, qui se réduisait finalement à un pilon. C'était juste mangeable, pas assez assaisonné, mais quand on a faim, on peut avaler n'importe quoi. Excepté la note! Au moment de payer, j'ai rappelé le garçon qui m'a fait un nouveau tour de passe passe : ma commande était démultipliée : le simple poulet était devenu une liste. Comme s'il voulait me faire casquer pour chaque ingrédient! En effet, les frites, le pain et le riz, que je n'avais pas commandés étaient facturés à part. Il avait eu cependant la courtoisie de m'offrir le prêt de l'assiette et des couverts.

     Un peu fatigué par toutes ces petites arnaques, j'ai décidé de rentrer à l'hôtel, de retourner dans mon petit confort all-in occidental où je n'allais plus me faire entuber.  Juste devant la porte, je suis tombé sur un type qui garait sa mobylette. Il m'a demandé du feu, puis on a commencé à parler de tout et de rien. Je lui ai demandé s'il connaissait un bon restaurant marocain. Il a enchainé en me disant que sa femme cuisinait très bien, et m'a finalement proposé de passer chez eux le lendemain pour manger un bon couscous. Quelle chaleur humaine! Ce n'est pas à Bruxelles qu'un passant aurait proposé à un touriste une telle invitation.
Le lendemain donc, j'étais au rendez-vous. Nous sommes allés chez lui en mobylette. Il habitait dans un bidonville à quelques kilomètres de la palmeraie et de ses palaces. Dans son abris, sa femme allaitait leur fils, en surveillant la cuisson. Assis par terre, un verre d'eau fraiche à la main, en pleine conversation, j'appréciais ce moment de simplicité. Je me disais que nous étions si enfermé dans notre confort en occident que nous vivions dans des cocons glacés. A ce moment, mon hôte a dit :
" On va manger un bon couscous. Ma femme a acheté les meilleurs légumes.
- Merci en tout cas.
- Et elle a acheté de la viande de très bonne qualité aussi. "
J'étais déterminé depuis la veille à participer à ce repas de fête; c'était la moindre des choses pour les remercier de cette invitation si spontanée.
" Je voudrais participer aussi. Comment puis-je vous remercier...
- Comme tu veux. 200 dirhams ça va?"
20 euros et il m'en restait 30 pour finir le séjour. Ca me semblait un peu gonflé pour une assiette de couscous. Bien sûr, je comptais remercier toute la famille, les inviter à mon tour le lendemain. Je n'avais rien non plus contre les inviter à leur propre couscous mais l'impression de convivialité et d'hospitalité s'en était allée. En fait, dès le départ, il comptait me faire payer une note salée pour ce repas. Il a empoché son dû et a soudainement manifesté une certaine impatience. Son visage était fermé. Tout à l'heure si loquace, il ne pipait plus un mot. Je lui ai dit que j'allais rentrer. Il m'a ramené à l'hôtel. Au moment où je descendais de la mobylette, il a à nouveau été plus chaleureux en me proposant un tajine pour le lendemain. Un tajine que je paierais 4fois le prix bien sûr! Je lui ai répondu que je partais en excursion dans les environs. Il a ajouté qu'il avait un cousin chauffeur de taxi qui me ferait visiter avec plaisir. Oui, et je paierais aussi 5euros le litre d'essence sans doute. J'ai été à mon tour plus distant et ai répondu que tout était déjà organisé et que d'ailleurs je rentrais en Europe prochainement. Il avait compris. Il m'a demandé 2 euros pour le trajet en mobylette puis a disparu à l'horizon.

     A force de pourboires, de charité, de repas et d'achats surévalués et de détours en taxi, je n'avais plus un cent en poche. Il me restait ma carte bancaire heureusement, mais à cette époque, les distributeurs internationaux étaient rares. J'ai dû sillonner toute la ville... à pied vu que je n'avais plus rien, pour en trouver un. J'avais même envisagé d'emprunter de l'argent aux autres clients de l'hôtel, avec qui j'avais un peu sympathisé... Heureusement, j'ai fini par pouvoir retirer un peu d'argent dans un distributeur d'hôtel. Au moment de sortir, le gardien qui montait la garde à l'entrée, a ouvert la porte avec un sourire rayonnant. Les images de la brochure à l'agence me revenaient en tête : la palmeraie, bois de Boulogne pour jet-setteurs avides de vider des flûtes en flambant leurs euros et en snobant la plèbe locale, la place Jama El Fna qui se met en scène tous les soirs dans un spectacle lancinent avec ou sans l'assentiment des touristes et le souk tentaculaire où vous trouvez tout le contenu de la caverne d'Ali Baba, y compris les 40 voleurs. En effet, à Marrakech régnait une chaleur humaine unique au monde. Mais elle avait un prix.




vendredi 15 février 2013

Bloody Valentine

     13 février... Je me réveille défaite dans des draps froissés. Il n'est que 6 heures du matin. Je crois que j'ai dormi deux heures tout au plus. Peut-être trois. Valentin, rencontré un mois auparavant sur Bagoo.com, a claqué la porte en sortant dans la nuit, à m'en faire tomber du lit. Je check mon téléphone pour voir si la compagnie ne m'octroierait pas une heure de sommeil en plus, à cause d'un vol retardé. Je reçois 3 sms, aucun du boulot, tous de Valentin. Je m'enferme dans les toilettes, ce qui me donne le temps de les lire. "Coucou, merci pour la soirée, c'était torride." et de un. "Voilà, je suis bien rentré, je n'arrête pas de penser à toi.Bonne nuit!" Le troisième me laisse perplexe : "PS : Je t'ai laissé une surprise sur la table de la cuisine.Appelle-moi!" Je tire la chasse. Une bonne douche, il me reste trente minutes pour rejoindre le taf. J'attrape un croissant et j'ouvre la porte. J'en prends une bouchée; il est dégueulasse ce foutu croissant, tu parles d'une surprise! Je m'allume une cigarette.
     Un crew d'enfer m'attend pour ce vol : David, le chef de cabine qui a ramené la mère de sa meilleure amie-une cougar de 50ans, Justin, le copilote à la liaison mystérieuse, Marie, la psycho-hystéro-mytho de service, Bryan, un jeune marié plutôt libertin et Natacha, qui était fortement soupçonnée d'avoir une affaire avec le commandant. Pendant le briefing, je sens vibrer mon portable. Je le regarde vite fait. Un appel manqué de Valentin. Deux minutes plus tard, un sms... de Valentin. "Tu es sûrement occupée.Je voulais te souhaiter un bon voyage." Pendant le boarding, je me planque dans le mid-galley pour lancer un coup de fil rapide. Je raccroche à peine qu'il me sms encore : "Demain, c'est la fête des amoureux. Dommage qu'on ne la fête pas ensemble.Biz." Je lui réponds que la Saint Valentin, ça ne veut rien dire. Je coupe mon téléphone pour le vol. J'aurai sûrement de la lecture pour le deboarding.
     Nous voilà à Cancun. La seule chose dont j'ai envie après 11 heures de vol, c'est de me griller une bonne garo. Arrivée à la réception, ça commence fort. Rendez-vous 40 minutes après le check-in au bar de la piscine pour un pré-apéro... Au coucher du soleil, déjà bien entamé, le noyau dur du crew , David, Justin, Bryan et moi, nous redonnons rendez-vous à l'heure de "l'apéro officiel" , qui débutera 30 minutes plus tard... Toujours pas de repos après une prestation de 12 heures, des litres d'alcool dans le sang consommé à la piscine en plein soleil... On a juste le temps de prendre une douche en essayant tant bien que mal de ne pas glisser sur le carrelage de la salle de bain et de s'habiller avec la tenue préméditée en connaissance de cause... C'est donc un redbull à la main que je me rends au bar de la réception pour retrouver la joyeuse bande.
     Une heure et quelques shots de tequila plus tard, je me rends compte que j'ai oublié mon téléphone dans la chambre. Je m'éclipse pour aller le récupérer. Lorsque je l'allume, il manque de bugger tellement les sms et les appels manqués déferlent dans la boîte de réception. Entre les "Tu es bien arrivée?", les "Je suis toujours sans nouvelles de toi.SMS-moi." et les "Passe un bon séjour, je t'appelle demain.", je me sens déjà passer la bague au doigt. Je réponds d'un "OK, à demain!"Une minute précise plus tard, je reçois un "T'es fâchée?" Je balance le portable au loin et je retrouve les autres, un peu ennuyée de ce court échange romantique. On se décide enfin à aller manger! La galère à Cancun pour un équipage entier! On finit par réserver la table avec le show teppanyaki en live au resto asiatique de l'hôtel, mais elle n'est disponible qu'une heure plus tard ... Et nous voilà repartis, direction un autre bar, histoire de m'envoyer les Long Island ice-tea bien chargés de Marius, en attendant la table... 
A ce point de l'histoire, la notion du temps me devient inconnue, mon seuil de fatigue était dépassé! Et l'alcool est le seul tuteur qui me maintient encore debout! Un repas était plus que nécessaire pour le deuxième round : "Le sport bar " et sa déferlante de shots multicolores accompagnés de Cuba libre ... Par je ne sais quel miracle,la fine équipe est toujours en mode fiesta à la fermeture du club ... C'est en zigzagant gaiement qu'on se retrouve dans ma chambre à commander du cava et des cerveças au room service ... Deux heures plus tard, la fête prend fin à mon plus grand soulagement. Il est 3 heures du matin, heure locale ...  Plutôt raisonnable car le réveil est prévu à 7 heures pour une excursion à laquelle j'ai décidé de ne pas participer, préférant me reposer à la piscine! Bryan, qui fume une dernière cigarette sur mon balcon en vomissant toutes ses tripes en même temps par dessus la rambarde, met finalement les voiles une heure plus tard... Après m'être débarbouillée et avoir mis ma nuisette, j'ai comme l'impression que j'ai oublié de faire quelque chose... Mais oui! Je devais encore prévenir Justin que Bryan ne participerait pas à la "balade matinale"! Sans trop réfléchir au temps qui a passé, j'attrape le téléphone et compose son numéro de chambre. D'une voix toute ensommeillée, il me répond et me remercie de l'avoir prévenu. Alors que je lui raconte toute ma life, comme à chaque fois que je suis bourrée. Il finit par me faire réaliser qu'il est déjà 5 heures du mat' et que je ferais mieux de dormir... Lui ne dormait que depuis peu... Je raccroche, m'étends sur le lit, mais le sommeil ne vient pas. Ma trousse à médocs qui se trouvait prête sur ma table de nuit et la bouteille d'eau à ses côtés, je parviens à me faire mon cocktail Spidifen, Motilium, et Stilnoct  ... Satisfaite, je m'enfonce dans les coussins et me relève instantanément ... Quelque chose m'empêche de dormir et je viens d'en trouver la cause! Le dernier cocktail faisait son œuvre... Je prends mon gsm, compose le numéro de Valentin et lui annonce avec beaucoup de conviction qu'on n'était pas faits pour être ensemble , que je viens de réaliser que sa présence dans ma vie m'étouffe et que de toute façon je ne l'aime pas!  Mais bon qu'on peut rester copain malgré tout... Et le seul son qui me parvient aux oreilles est "Ah bon, oui je comprends. Ah d'accord", et des silences interminables ... Il me demande si j'ai bu et si je réalise ce que je lui ai dit... Bien sur que je m'en rends compte. Je lui propose de répéter mes paroles et oui, j'ai conscience de mes dires. In vino veritas : même dans la rupture, tu es mou! Je raccroche. Oui, tu es de la pâte à modeler dans mes mains, Valentin. Je fais de toi ce que je veux et je déteste ça. Tu es un chewing gum collé à mes talons. Même ivre morte dans les bars, tu me saoules encore un peu plus avec tes sms "Tu me manques...tu fais quoi?" Comme une sangsue, toujours sur mon dos, insaisissable, tu suces mon énergie. Tu m'asphyxies, tu m'intoxiques. Hier matin, quand tu as noyé tes yeux dans les miens, moi je voulais éteindre cette flamme. Je n'ai rien trouvé d'autre à faire qu'écraser ma bouche contre la tienne comme une clope dans un cendrier.  Sur ce , je coupe mon GSM et je m'endors, libre, au son de la TV. 

mardi 12 février 2013

Jambo Kenya



     C’était le 15ème jour du mois… suspense : allais-je enchaîner les vols triangulaires égyptiens, à en perdre toutes facultés mentales pour formuler des phrases complètes ? Ou allais-je tirer le gros lot d’un long courrier qui ferait exploser mon taux de vitamines D ? Le 15 du mois, c’était le jour où je recevais mon planning. Quelle excitation cette fois de découvrir mes vols et découchés à venir : 7 nuits au Kenya, une nuit à Punta cana, un aller-retour Marrakech et 3 nuits à Cancun.

     C’était la première fois que j’allais au Kenya. J’avais hâte de découvrir cette nouvelle destination. Ma connaissance en la matière, jusque là, se cantonnait aux clichés formatés par l’industrie du cinéma hollywoodien voire pire, de Disney. En pleine savane africaine, un soleil démesuré se coucherait dans un ciel orangé. Entre deux safaris en jeep, entouré de Masai en pagnes , de Timon le chien de prairie et de Pumbaa le phacochère, je pourrais placer un ou deux « Hakuna matata ! » Le dépaysement serait encore au rendez-vous. En plus, comme il n’y avait qu’un vol par semaine, la compagnie était obligée de nous laisser 7 nuits sur place… dommage pour elle mais tant mieux pour nous ! J’ai fait la pub dans mon cercle privilégié d’amis, au cas où l’un d’entre-eux serait intéressé et disponible pour partager cette semaine d'aventure avec moi. Sylvain, mon beau-frère, m'accompagnerait cette fois-ci.
Dans l’équipage, il y avait ma comparse Rihanna qui était accompagnée de sa sœur jumelle, certains crew affublés de leur parents et le commandant de bord de sa femme. On se retrouvait à 15 dont 9 crew.

     Après un vol de nuit d’un peu plus de neuf heures et une courte escale à Zanzibar en Tanzanie, nous voilà enfin sur le sol africain. La porte de l’avion s’est ouverte et le responsable d’escale est entré avec applomb en nous scandant un « Jambo! Jambo !
- Qu’est- ce qu’il dit ? Jambon ?, ais-je demandé à la chef de cabine.
- Mais non ! Jambo (et ça se prononce djambo comme Tarzan et Djane) qui veut dire bonjour en swahili, m’a-t-elle corrigé avec un air couroucé d’institutrice. »
Les paxs ont débarqué et l’équipe de nettoyage est montée à bord, avec sa déferlente de « jambo » pour être sûr que je n’oublie pas ce nouveau mot. La vingtaine de personnes qui s’affairaient dans l’appareil suaient déjà de nous avoir rejoint par cette chaleur de four et pour le coup, les narines hyperstimulées, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un saucisson fumé à l’ail…
Une preuve supplémentaire que les visas est du pur business pour remplir les caisses du pays : arrivé au contrôle passeport, l’équipage a pu passer sans même exhiber de document d’identité, ni même de badge d’ailleurs. C'est fou quel effet l’uniforme produit en Afrique : même la file, on a pu l'esquiver. Nos paxs qui devaient débourser 25€ pour entrer dans le territoire et surtout se taper une queue interminable nourrie par 5 longs courriers devaient regretter de ne pas avoir emporté l’uniforme de policier ou de majorette de leur dernière soirée déguisée…
Sur le carrousel fatigué, nous avions récupéré des montagnes de bagages : des collègues avaient ramené des sacs pleins de vêtements pour les donner à l’orphelinat. Le plus dur serait de trainer toute cette cargaison jusqu’au bus qui nous emmènerait à l’hôtel. En sortant du terminal, la touffeur africaine nous a assaillis. Le corps moite, nous n’avions qu’une seule envie, arracher ce foutu uniforme qui nous démangeait. Bardés de ces bagages, suant comme des cochons, nous nous frayions un chemin à travers les gars qui nous racolaient pour un taxi. J’aurais voulu attraper une liane et saisir Rihanna au passage pour me sortir de cette jungle humaine mais je ne pouvais lâcher que de lamentables « We dont need taxi ; we have crew bus ! » qui n’avaient aucun effet sur eux.
Nous voilà enfin dans le bus vers l’hôtel, chargés à bloc. Des bagages sur les sièges, sur le toit, entre nos jambes et sur nos genoux, on aurait pu faire la première de couverture du guide du routard Kenya.
Pendant le transport, nous pouvions voir défiler derrière les vitres des scènes de la vie quotidienne kenyane. Pendant que certains tiraient péniblement des charrettes où de vieux pneus s’amoncelaient, d’autres s’acheminaient vers leur travail à pied. Une mère lavait son enfant dans une bassine en fer blanc. En trame de fond, des maisons de fortunes en tôle et des feux improvisés un peu partout, où se consummaient des pneus et toute sorte de déchets. Ma première impression de Mombassa, c’était ça : la chaleur étouffante et une odeur de caoutchouc brûlé.

     A l’hôtel, on nous a réservé un accueil fraternel. Les « jambo » nous arrivaient de derrière les comptoirs, les plantes et les charriots de ménage. Débarrassés de nos bagages, nous voilà avec un cocktail dans une main et une serviette rafraîchissante dans l’autre. Quel plaisir d’être rafraichi avec autant de zèle ! Au moment où nous recevions nos clés de chambre, un car bondé de passagers qui étaient sur notre vol est venu rompre la tranquillité. Et merde…nous allions encore être surveillés par les paxs.
Aussitôt, je me suis éclipsé vers le premier étage, où se trouvait ma chambre. Je n’avais plus le courage d’attendre. Je me suis jeté dans le premier lit que j’ai trouvé pour piquer une sieste. Sylvain, qui avait marié les Temesta au Château Migraine, avait ronflé pendant tout le vol à en créer des turbulences. Il était maintenant excité comme une puce, impatient de découvrir tout ce qui se tramait autour de l’hôtel. Vers la fin de l’après-midi, je me suis réveillé. Sylvain était là, tout fier de porter un énorme sac à farine crasseux. Il en a sorti les ramasse-poussière qu’on lui avait vendus avec ou sans sa volonté. Les indigènes avaient repéré son teint crayeux de nouvel arrivant et en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, il avait été assailli de toute part. Les figurines masai et les girafes en bois avaient voleté autour de sa tête jusqu’à l’enivrer. Un billet de 50euros s’était envolé.
En dehors du climat et des plages sauvages à la fois blanches et vertes, le Kenya avait comme attraction principale les safaris incontournables. Aller au Kenya sans goûter à ces expéditions, c’était comme visiter Paris sans voir la tour Eiffel. Sylvain était d’ailleurs bien décidé à ne pas se coucher tard pour en profiter au maximum. Je m’apprétais à dormir lorsqu’il m’a dit qu’il avait oublié ses lunettes au bar de l’hôtel. Deux heures plus tard, il n’était toujours pas revenu. Il était tombé sur Rihanna qui l’avait emmené dans un tout autre genre d’expédition dans un bar louche. Ils s’étaient battus comme des lions une bonne partie de la nuit, alternant vodka et tequila. A 4 heure du matin, quelques heures avant de partir pour le safari, j’ai entendu qu’on trifouillait maladroitement la serrure de la porte. Sylvain, bien éméché, riant comme une hyène, avait enfin retrouvé ses lunettes.

     Nous pouvions désormais partir pour ce périple de trois jours et deux nuits en pleine savane, dans les vastes parcs nationaux Tsavo East et Tsavo West. Aux portes du parc, un gardien nous a briefé sur notre tenue et notre comportement durant le safari. Il nous a rappelé qu'il était indispensable d'avoir un chapeau et des lunettes pour se protéger du soleil et de la poussière pendant le parcours. Ceux qui n’avaient pas été prévoyants pouvaient bien sûr faire tourner son petit business en lui rachetant les lunettes et chapeaux qu’il avait sorti d’un sac tout en parlant. Il nous a ensuite prévenu de ne pas essayer de donner à manger aux animaux, ni même de les déranger en essayant de les appeler avec toutes sortes de bruits entendus dans Le livre de la jungle. Ces animaux n’étaient pas des caniches ou des chatons mais des bêtes sauvages, carnivores et affamées pour la plupart.
L'aventure pouvait commencer. Installés dans une des jeeps, le toit ouvert pour pouvoir sortir la tête et mieux observer les animaux et les paysages, nous étions plongé dans l’émerveillement. Comme des Japonaises sur la Grand place, nous avions sorti notre artillerie de Nikon et mitraillions d'un déclic tout ce qui bougeait. A chaque détour de la piste, un nouvel animal nous surprenait. Des troupeaux gigantesques de buffles nous observaient en ruminant. Un des éléphants pissait avec impudeur autant que Sylvain après 3 bières. Les girafes, avec leur silhouette élancée, nous snobaient comme des pétasses, de toute leur hauteur. Les hippopotames déféquaient et, en faisant tournoyer leur queue, envoyaient leur merde dans tous les sens pour marquer olfactivement leur territoire. L’utilité des lunettes et du chapeau prenait là tout son sens ! Les diks-diks nous mataient par paire. Ces antilopes naines, dans un élan romantique théâtral, se laissaient dévorer par un prédateur si leur partenaire venait à mourir, nous expliquait le guide. Pour ce qui est des prédateurs, justement, les guépards, léopards, hyènes et crocodiles n’étaient pas vraiment de la partie. Ils avaient trop la flemme pour s’inquiéter de notre présence et préféraient rester au loin sous ou dans les arbres. Même le « king », fidèle à sa réputation en safari, n’avait pas daigné se montrer.

     Après notre premier "game", ou sortie en jeep, nous voila dans notre lodge pour la pause midi. Imaginez un havre de paix avec une piscine et des chambres confortables munies de salles de bain en plein milieu de la savane. Mais cet environnement accueillant avait attiré toute une flopée d'invités surprise dans les chambres : des moustiques assoiffés, des cafards extatiques et des araignées énormes. Ahhhhh !!! Je crois que mon cri a résonné dans toute la savane lorsque j'ai aperçu ces huit pattes poilues qui s'agitaient avec patience et coordination de part et d'autre d'un abdomen démesuré, juste à côté de la serrure de la porte de ma chambre. Avec un héroïsme que je ne me connaissais pas, je l'ai ignorée et j'ai claqué la porte de toute mes forces pour la faire dégager. J'espérais qu'elle ne viendrait pas explorer ma cavité buccale lorsque je serais en train de ronfler la bouche ouverte...
Le soir même, en allant prendre le repas du soir, Sylvain et moi étions décidés à escorter chevaleresquement Rihanna de sa chambre au buffet. Mais au moment où nous avons vu une chose longue et épaisse qui nous coupaient le chemin, juste devant la porte de sa chambre, notre galanterie s'est évanouie et nous avons fait demi tour en criant comme des fillettes. En fait, nous étions en pleine paranoïa : ce n'était pas un black mamba, ni un boa mais le tuyau d'arrosage qui nous barrait le chemin... Après le repas, de retour vers nos chambres, des hordes de scarabées grouillaient sur le sol et volaient vers nous. Nous traversions ce passage en hurlant et nos pas sonnaient comme des chips écrasées. C'était atroce!
Après toutes ces émotions plus effroyables que si nous avions croisé un lion, notre safari a continué, cette fois ci dans la partie ouest, Tsavo West. Cette région était vallonnée alors que la partie orientale,Tsavo East, était plus désertique et assez plate. Là, nous logions dans des tentes individuelles de luxe, avec tous le confort d'une suite d’hôtel. Après un repas servi à la carte, on a passé l'après midi au bord de la piscine. Il y avait des écureuils peu farouches qui venaient s'y abreuver. La nuit, entre 23h et 5h du mat il n'y avait plus électricité : ils coupaient le générateur. Le lodge n'était pas protégé par les clôtures électriques. Les animaux pouvaient s'approcher des tentes. J'imaginais qu'une bête féroce m'attaquait pendant mon sommeil et m'arrachait les tripes. D’ailleurs, une fois la nuit tombée, pour se rendre à la tente, on devait être accompagnés d'un masai, au cas où un animal apparaîtrait devant nous.
En fin de soirée, mes collègues terminaient une bonne bouteille de vin local. Moi, j’étais sur les genoux. J'ai demandé à mon garde du corps masai de me raccompagner. Arrivé à destination, la lumière s'est éteinte comme dans un mauvais film d'horreur : il était 23h... Le glorieux guerrier m'a dit : « good night !» et m'a laissé dans un noir total tout seul dans la tente.
J’étais en panique. J'essayais de trouver ma lampe de poche sans jamais y parvenir vu qu'elle était... dans la poche du pantalon que j'avais enlevé. Stressé comme un bouc entouré de bêtes sauvages, je ne trouvais pas le sommeil. D'autres invités s'étaient incrustés : les crapauds en chaleur, les grillons hystériques nous faisaient une musique d'enfer.
Rihanna et les autres avaient commandé quelques bouteilles de plus pour continuer la soirée dans sa tente. Le bruit de leur beuverie me rassurait, j'ai fini par trouver le sommeil. A 5h du matin, toutes les lumières que je n'avais pas éteintes se sont allumées d'un coup. Surpris par ce flash violent, j'ai hurlé comme si j'étais enlevé par des extra-terrestres.
Sylvain, qui avait forcé sur le vin et les somnifères pour échapper à cet enfer sonore, n'a réagi que 5 minutes après :
« Hein?! Quoi?! Qu'est ce qui se passe ?, m'a-t-il demandé, les paupières collées aux yeux.
- Rien, j'ai été surpris par la lumière, lui ai-je répondu.»
Une demi heure plus tard, un bruit étrange se faisait entendre :
« Hou hou hou hou ! »
Un hibou ? En Afrique...ça m'aurait étonné!
« Quoi?! Qu'est se que tu dis? Ça veux dire quoi houhouhou ? » Ce vin était vraiment corsé ! Mon compère aurait pu se faire emporter par une lionne qu'il n'aurait rien remarqué.
« Moi, j'ai rien dit. C'est pas moi !
- Zaaaak! Sylvain! Arrêtez de faire les cons, laissez-moi dormir !, a crié Rihanna de sa tente.»
Aujourd'hui encore, j'ignore quel bestiole pouvait brailler comme ça...
Quel aventure ce safari! Après le troisième jour, nous étions contents de rentrer à l'hôtel. Sur la route, nous avons croisé des éléphants, des girafes, des zèbres... Mais nous étions déjà blasés. Nous ne sortions même plus les appareils photos.

     En fin d’après-midi, arrivés à l'hôtel, nous nous sommes tous jetés sur le bar comme des vautours pour siroter un cocktail. Les clients, dont certains était nos passagers, nous observaient pour voir ce qu'on faisait, ce qu'on buvait, ce qu'on mangeait, comme si nous étions des animaux échappés de la savane. J'avais envie de leur demander s'ils comptaient nous lancer des cacahuètes.
Du bar de la piscine ou de la terrasse de nos chambres, on pouvait observer les singes qui vivaient dans la végétation luxuriante bordant l’hôtel. Ils sortaient le matin et en fin de journée pour venir manger. Le reste du temps, ils dormaient dans les arbres. Une de mes collègues avait laissé la fenêtre de sa chambre ouverte. Alors qu'elle rentrait pour se changer, elle est tombée nez-à-nez avec un macaque qui piquait le sucre mis à disposition à côté de la cafetière. Les singes venaient souvent nous dérober les garnitures fruitées des cocktails qu'on ôtait des verres.

     Les plages kenyanes, comparées à celles de République dominicaine ou du Mexique, n'étaient pas vraiment paradisiaques. Elles étaient même assez infernales lorsque nous étions alpagués par des racoleurs qui essayaient de nous vendre tout et n'importe quoi alors que nous avions déjà acheté une demi-douzaine de statuettes en bois. Ils nous proposaient aussi une multitude de services pour quelques sous, comme le sea safari qui consistait à observer les bestioles qui se cachaient dans le sable à marée basse. Dans ce pays où la misère est très présente, tous les moyens sont bons pour gagner son pain.
Ailleurs, un groupe de mamas vendaient des fruits comme des noix de coco, des mangues, des ananas, des avocats... A chaque fois que nous passions, elles nous proposaient d'acheter leur marchandise. Notre transit intestinal ne fonctionnait jamais aussi bien qu'au Kenya!
Rihanna, qui se faisait appeler Gabriella, se faisait harceler une enième fois par une des vendeuses :
« Gabriella, you promised me that you would buy me fruits! »
Moi, j'ai eu pitié d'elle et je lui ai dit que je lui prendrais deux ananas le derniers jour.
« Give me a deposit for pineapples, m'a-t-elle soufflé à travers son râtelier hypophagique.
- What ?!? A deposit for pineapple ? Are you serious ?, lui ai je rétorqué.
- You make me order. I need a deposit to be sure you will take it, a-t-elle enchaîné d'un air piteux.»
Je me demandais si nous devions passer chez le notaire pour authentifier la commande.
A d'autres moments, des gars sortaient de nulle part pour essayer de nous gratter des trucs. J'ai eu droit à toutes sortes de choses :
« When you go home give me your tee shirt. »
Un autre voulait mon maillot ou encore mes tongs. Je leur ai expliqué que j'en avais encore besoin vu que je voyageais beaucoup pour mon taf mais que la prochaine fois que je viendrais, je leur ramènerais des vêtements que je ne portais plus. Ils étaient ravis.
Le jour du départ, dans un dernier élan de générosité, Sylvain a voulu offrir ses vieilles pompes à un malheureux. Il a tellement couru pour revenir vers le bus de l'aéroport qui l'attendait avec tous les crew, qu'il a dû faire stopper le véhicule en pleine route pour gerber son petit déjeuner. C'était comme l'épilogue du safari et personne n'en avait raté une miette.